Ce glossaire de la crise migratoire nous est transmis par l’ACAT (Action Chretien Abolition Torture).
Chaque jour apporte son nouveau lot d’images de « migrants », de réactions de sympathie comme de peurs, et de décisions politiques incohérentes et stériles. Le choix des mots n’est pas anodin. Décryptage.
S’il peut parfois être évident qu’une personne a besoin d’être protégée, on ne peut en revanche jamais dire que quelqu’un n’a pas besoin d’aide. La fragilité ne se voit pas nécessairement de prime abord. Nous en faisons tous l’expérience dans nos vies quotidiennes.
Alors qu’un nombre sans précédent de personnes en détresse tentent de rejoindre l’espace Schengen pour y trouver une vie meilleure, les États de l’Union européenne espèrent satisfaire l’opinion publique en annonçant qu’ils acceptent l’entrée d’une portion dérisoire de ces exilés sur le territoire européen. Mais les réponses politiques nationale et européenne se font écho : la logique reste celle du tri entre les « bons » et les « mauvais », les « vrais » et les « faux réfugiés ».
Sous couvert de bons sentiments, les exilés qui arrivent aux portes de l’Europe seront triés sur la base de préjugés (notamment en fonction de leur nationalité), et leur vécu personnel et leurs craintes individuelles seront ignorées. Les plus chanceux seront répartis sans leur consentement dans des lieux où ils devront rester cantonnés.
Dans cette sélection, les dirigeants politiques s’arrogent en outre le droit de choisir leurs « réfugiés préférés ». Alors que la Convention de Genève de 1951 et tous les textes internationaux prônent l’égalité absolue de traitement des demandeurs d’asile, on dérive dangereusement vers de l’asile choisi.
Quant à la grande majorité des exilés, ceux qui n’auront pas été considérés comme des « vrais réfugiés », ils seront refoulés, par la force. L’Europe n’a nullement l’intention de changer de politique ; elle continue de concentrer ses efforts et ses ressources financières à se barricader et à faire l’impossible pour que les civils innocents qui rêvent de paix et de sécurité restent entassés dans des camps à l’extérieur de l’Europe, ou poursuivent leur errance mortifère loin de notre regard. Pour mieux les empêcher d’approcher de nos rivages, on prévoit de les faire trier par d’autres, en sous-traitant la « détermination des besoins de protection » à des Etats aussi démocratiques et respectueux des droits de l’Homme que la Lybie, le Maroc ou le Niger.
Chaque jour apporte son nouveau lot d’images de « migrants », de réactions populaires de sympathie comme de peurs, et de décisions politiques incohérentes et stériles. Le choix des mots n’est pas anodin. Décryptage.
« Migrant » :
La migration, en tant que changement temporaire ou définitif du lieu de vie d’une personne, est l’essence de l’humanité. Se déplacer est le propre de l’homme. Un migrant est une personne qui change de lieu de vit et se met en mouvement. Si l’on se place du point de vue du pays qu’il quitte, on dit de lui qu’il est émigré. Si l’on se place du point de vue du lieu où il s’établit, on le nommera un immigré. Le mot « migrant », par son gérondif, désigne la personne qui est encore dans l’action de se déplacer, de s’établir dans un nouveau lieu de vie.
Mais ce terme, en principe neutre, a pris une consonance négative en politique, car on ne l’applique en pratique qu’aux migrants pauvres, des pays moins développés. On a tendance à désigner les émigrés ressortissants de pays développés ou occidentaux comme des « expatriés ». Or, la démarche est exactement la même.
La très grande majorité des mouvements migratoires dans le monde se situent à l’échelle régionale, comme l’illustrent par exemple les chiffres relatifs aux mouvements migratoires en Afrique de l’Ouest. Seule une portion congrue des personnes aspirant à chercher une vie meilleure ailleurs se déplace effectivement vers l’Europe (ou vers l’Australie ou les Etats Unis, le raisonnement étant le même).
« Schengen », « Frontex », « Dublin »
L’espace Schengen est un espace de libre circulation pour les ressortissants de ses Etats membres. Il est une réalisation européenne. Mais il est un entre-soi. Les Etats membres de l’espace Schengen n’ont toutefois jamais eu l’intention d’ouvrir le territoire européen à la libre entrée ni à la libre circulation des ressortissants d’Etats tiers.
Ainsi, deux des corolaires de la libre circulation interne à l’espace Schengen sont :
-la réglementation stricte de la légalité de l’entrée dans l’espace Schengen et le gardiennage des frontières externes de l’espace, dans une optique essentiellement sécuritaire. L’agence Frontex est d’ailleurs financée par le budget militaire de l’union européenne.
-Le règlement de Dublin (aujourd’hui à sa troisième version dite Dublin III), qui exclut la liberté de circulation des demandeurs d’asile en Europe et les astreint à rester dans le seul Etat membre responsable de leurs demande d’asile. Cet Etat responsable (déterminé en fonction d’une liste de critères comme la présence de famille, possession d’un titre de séjour, franchissement irrégulier des frontières…) est le plus souvent le premier Etat où le demandeur d’asile a foulé le sol européen et où les autorités ont constaté son arrivée, notamment par le relevé de ses empreintes digitales. Ce système fait peser le poids des arrivées massives de potentiels demandeurs d’asile sur les Etats de l’espace Schengen qui en constituent la bordure externe, les incitant indirectement à garder le plus efficacement possible leurs frontières, et du même coup celles de l’espace tout entier. Cette notion de « gardiennage », essentiellement politique et pragmatique, prend malheureusement le pas sur le nécessaire respect des droits de l’homme.
Les Etats européens ne délivrent qu’un nombre dérisoire de visas par an pour des candidats à l’immigration, quelles qu’en soient ses motivations. Pour contourner cette interdiction d’entrer par les voies légales en Europe, les migrants les plus désespérés ont recours aux passeurs et sont contraints à des voyages longs, dangereux, traumatiques, mortifères.
Notre vigilance doit s’éveiller: l’idée qu’une même violation de droits fondamentaux soit moins tolérable si elle est commise à l’encontre de personnes qui fuient la guerre (et a contrario moins intolérable si ses victimes en sont des civils fuyant la misère ou aspirant à une vie meilleure ?) est dangereuse.
La politique de gardiennage des frontières externes de l’espace Schengen fait plusieurs milliers de morts par an depuis de nombreuses années. Pourtant, l’attention des décideurs politiques et de l’opinion publique ne s’y attardait que très faiblement.
« Crise »
Mais récemment, la « crise migratoire » qui touche l’Europe a attiré une attention médiatique exceptionnelle. L’émoi légitime de l’opinion publique a pour objet la gravité des atteintes à la dignité humaine mises en lumière. Mais le déclencheur de ce mouvement de sympathie a été la qualité des victimes, perçues comme « plus injustement traitées encore que les autres », puisqu’on les nomme des « réfugiés ».
L’embrasement médiatique et politique, quant à lui, n’aurait pas eu lieu sans le changement d’échelle numérique des arrivées de migrants aux frontières de l’Europe. L’évocation d’une « crise » provient de ce que ce ne sont plus quelques milliers mais plusieurs dizaines de milliers de migrants qui tentent quotidiennement d’entrer dans l’espace Schengen. Parmi eux, nombreux sont ceux qui fuient la guerre ou la violence généralisée. Le nombre de civils ayant dû fuir leur foyer pour se mettre à l’abri hors de leur ville, de leur pays ou de leur continent n’a en effet jamais été aussi élevé depuis la seconde guerre mondiale. Une proportion importante des « migrants » qui tentent désespérément d’atteindre l’Europe (ou certains pays d’Europe perçus à tort ou à raison comme plus accueillants) sont des civils fuyant la guerre, notamment de nombreux Syriens.
Au fur et à mesure que les arrivants ou candidats à l’entrée en Europe se font plus nombreux, l’opinion publique délaisse la sympathie pour la peur de ces étrangers, perçus comme une menace.
Louvoyant entre ces deux courants, et dans l’objectif premier de maintenir le cap d’une politique migratoire fermée et sélective, les dirigeants politiques européens mettent en place des solutions hâtives. Si ces solutions proposées s’avèrent inefficaces, elles n’en sont pas moins, pour leur grande majorité, nocives aux droits de l’homme et aux principes fondamentaux qui les sous-tendent.
« Demandeurs d’asile »:
Juridiquement, les personnes arrivant aux portes de l’Europe ou désireuses d’y entrer n’ont pas encore obtenu la reconnaissance du statut de réfugié.
Si une personne veut demander l’asile, on doit la désigner comme un demandeur d’asile et lui accorder les garanties correspondantes, dès la première expression de son souhait de demander l’asile. Plus techniquement, les termes « demandeur d’asile » désignent une personne qui a déjà formellement déposé une demande d’asile.
Les migrants et les potentiels demandeurs d’asile ont des droits au regard de la convention de Genève de 1951, puisque celle-ci les protège contre le refoulement. Il est interdit de « refouler », c’est à dire de « repousser » une personne qui souhaite demander l’asile sans avoir enregistré et examiné individuellement sa demande.
« Réfugiés »
Le mot réfugié a plusieurs acceptions : il peut désigner, au sens très large, une personne qui « se réfugie » (Je me suis réfugié chez mes parents, car ma maison était inondée), ou une personne qui a fui la guerre, ou, plus techniquement, une personne reconnue réfugiée au sens de la convention de Genève de 1951. Celle-ci prévoit que le statut de réfugié soit reconnu à quiconque craint avec raison des persécutions dans son pays d’origine “en raison de sa race, de son origine, de sa natioanlité, de son appartenance à un groupe social, ou de ses opinions politiques” (voir article 1A de la Convention). Le statut de réfugié est alors lié au vécu personnel de la personne, et au fait qu’elle est personnellement menacée, pour des raisons individuelles.
Dans d’autres cas, une personne peut être protégée sans que la menace (ou l’absence de protection) ne provienne nécessairement d’autorités étatiques ou de détenteurs du pouvoir local, si sa vie est en danger, notamment si son pays ou sa région d’origine connaissent une situation de conflit armé ou de violence généralisée telle que sa vie en serait en danger. En France, on appelle cette protection la « protection subsidiaire ». L’idée derrière cette protection est que les personnes pourront un jour rentrer chez elles quand la violence aura cessé.
Face à des évidence géopolitiques de situations de conflit armé ou de violence généralisée indéniable, certains demandeurs d’asile sont considérés comme ayant de grandes chances de bénéficier d’office d’une protection internationale. On peut alors dire d’eux qu’ils sont des réfugiés « prima facie », c’est à dire à première vue, puisque le danger qu’ils courent dans leur pays est difficilement contestable.
Certes, la convention de Genève prévoit que le statut de réfugié soit reconnu et non octroyé, si bien qu’une personne reconnue réfugiée à l’issue de sa demande d’asile sera réputée avoir été réfugiée de manière rétroactive depuis son départ de son pays d’origine, car elle porte ce statut en elle. Mais désigner comme « réfugiés » des personnes qui n’ont pas encore formé de demande d’asile ou dont la demande d’asile n’a pas encore été instruite définitivement consiste à faire un « pari » sur le résultat de cette demande, c’est à dire à préjuger de qui mérite ou non d’être reconnu réfugié, en se dispensant d’examiner chaque demande individuellement.
Certes, la grande majorité des ressortissants syriens, s’ils demandent l’asile en Europe, peuvent espérer obtenir une forme de protection internationale car la situation de violence généralisée dans leur pays d’origine est indéniable si bien qu’ils entrent collectivement dans la catégorie des réfugiés prima facie.
Mais le consensus sur le fait que les ressortissants syriens soient réfugiés prima facie au sens de la convention de Genève ne doit pas entraîner de dérive – contraire aux droits de l’homme – vers un asile qui deviendrait exclusivement « au faciès ».
C’est ainsi qu’avec une intention certes humaniste et empreinte de sympathie à l’égard des civils victimes de la guerre, on risque indirectement de dévoyer les valeurs fondamentales de la convention de Genève : il n’y a pas a priori de demandeurs d’asile plus méritants que les autres ; tout le monde peut demander l’asile ; chaque demande d’asile doit être examinée individuellement et en profondeur, sans discrimination.
Certains des droits fondamentaux impactés dans la crise actuelle :
– Certains migrants tentent de passer par la mer, d’autres par la terre, et la majorité emprunte des routes mixtes terre/mer/terre. Leur parcours est semé de violations des droits humains.
Des migrants meurent en mer et ne sont pas secourus, malgré les obligations internationales de sauvetage en mer qui incombent aux navires. D’autres sont refoulés en pleine mer ou dans les eaux territoriales d’états qui veulent contraindre les embarcations de migrants à faire demi-tour, ou les dissuader d’accoster sur leurs rivages. Ces pratiques mettent en jeu le droit à la vie mais également enfreignent le principe de non refoulement.
– Les conditions matérielles et sanitaires, la carence des pouvoirs publics des Etats membres dans la prise en charge matérielle minimale de ces migrants et le harcèlement policier que ceux-ci connaissent dans les camps des fortune (comme à Calais), dans certaines villes ou sur les routes d’Europe portent atteinte à leur droit à la dignité et à la sécurité.
– En outre, les fermetures de frontières à l’intérieur de l’espace Schengen sont une violation des accords et traités européens instituant l’espace de libre circulation et les renvois « sauvages » de demandeurs d’asile d’un pays à un autre (comme de la France à l’Italie, entre Vintimille et Menton) sont des violations du règlement de Dublin.
– Les fins de non recevoir, les procédures de tris, et le traitement administratif et juridictionnel des demandeurs d’asile (enregistrés ou potentiels), incluant leur privation de liberté et leur renvoi forcé, violent le droit d’asile, le droit à la protection contre la torture et les traitements inhumains et dégradants, et les droits civils et politiques tels que le droit à un procès équitable, la protection contre la privation arbitraire de liberté, le droit à un recours effectif.
Pour aller plus loin sur la défense du droit d’asile, visitez notre site.
Eve Shahshahani
Responsable des programmes Asile de l’ACAT (Action Chretien Abolition Torture)
Mai 2015