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Le forum « migrants » au rassemblement Diaconia 2013

Forum « Migrants », Diaconia 2013, Lourdes

Groupe place et parole des migrants

Ouverture

Il y a une différence entre toi et moi : je suis un migrant, toi, tu es chez toi. Cela crée une inégalité : par exemple, c’est une injustice de ne pas avoir les mêmes droits, de ne pas trouver un bon travail quand on en a les qualifications.

Nous, migrants, nous ne sommes pas chez nous. Quand on arrive, on manque de tout. On ne peut même pas avoir le petit confort qu’on a laissé. Des fois, on n’arrive même pas à manger. Ici, c’est une société organisée, cette organisation ne nous permet pas de subvenir à nos besoins les plus élémentaires, parce qu’on n’a pas le droit de travailler. Or on vient ici pour travailler, pas pour avoir des aides ! C’est la misère.

La misère, pour un migrant, c’est être déraciné, perdre ses attaches, être en précarité. On ne connaît personne, on n’a plus de repères, on est en souffrance affective.

La souffrance affective, c’est de ne pas être avec les siens, de ne pas être chez soi. Tout le monde peut connaître cette souffrance : être dans un autre pays que le sien.

Et puis le regard de l’autre est traumatisant pour moi, il m’isole, je me sens différent, stigmatisé. Même si je suis en situation régulière, le regard que me jette la société est un rejet, qui me dit : « Rentre chez toi, rentre chez toi, tu n’as pas le droit d’être ici ! » Il y a une sorte de haine. Ce regard, je crois que c’est un « vrai » regard, alors c’est du poison qui entre dans le cœur et je m’exclus moi-même.

Comme je ne connais pas l’autre ou que je ne veux pas le connaître, je le crois extrêmement différent, je pose des barrières, c’est de l’ignorance. Alors vient la peur : l’autre me semble tellement différent, à partir même de la couleur de sa peau. Le racisme, c’est le requin, c’est une bête qui tue. Le racisme parle de tout le monde, du blanc, du noir, de l’être humain qui n’a pas un regard d’amour sur son proche.

Ceux qui sont racistes se sentent supérieurs, et nous les migrants, nous nous sentons inférieurs !

J’ai ce sentiment d’infériorité parce que ce sont les colons qui ont apporté d’autres coutumes dans mon pays. Par exemple, je n’ai pas l’habitude de manger à table : je prends mon assiette, je m’assieds et je mange. Quand je dois aller à table avec eux, ici, et vivre selon leurs codes, je pense qu’ils vont me regarder, qu’ils vont rire. J’ai le sentiment d’être maladroit.

Et pourtant, je suis un homme comme toi ! Si tu me vois comme ça, il n’y a plus de racisme !

Bien sûr, si je fais une erreur au travail, on me sanctionne. C’est normal ! Ce n’est pas que le chef est raciste !

Il y a comme une méfiance absolue, un refus obstiné d’aborder l’autre sans idées reçues, sans préjugés ! Cela peut venir des Français, mais aussi des migrants : ça fait partie de notre humanité commune. Nous avons tous du mal à accepter l’autre, complètement. Ce n’est pas facile de respecter une façon d’être qui n’est pas comme la mienne. Celui qui est différent, je pense qu’il n’a pas les mêmes capacités que moi ou parce qu’il n’est pas comme nous, je pense qu’il est mauvais.

La peur, c’est un sentiment intérieur d’insécurité, un adversaire qui m’empêche de vivre pleinement, une gangrène. Elle est destructrice, il faut l’affronter, lui faire face. Les migrants ont peur parce qu’ils ne connaissent pas le pays dans lequel ils arrivent. Cette peur se renforce d’expériences négatives, par exemple à la préfecture, ou de remarques sur des manières de vivre qui ne sont pas celles du pays.

La peur vient de cette tension en nous : on s’accroche à des choses culturelles, symboliques, comme si ça nous définissait, comme si ça nous protégeait : comme si on n’était pas sûr de son identité. On pourrait vivre une intégration positive si chacun acceptait de « laisser quelque chose ».

Quand deux personnes entrent en relation, chacune est amenée à changer !

Il faut commencer par nous connaître pour vivre ensemble, briser les idées reçues qui créent des malentendus. Pour sortir de cette impasse, il faut que je change mon regard en dépassant ma peur : alors je peux dire et faire ce que je sens, ce qui est le meilleur selon moi. Pour y arriver, il est bon d’aller vers les autres, de ne pas rester enfermés entre nous, étrangers.

Connaître l’autre me renvoie à la connaissance de moi-même : grâce à l’étranger qui me demande qui je suis, je peux réévaluer chaque élément de ma culture : « Qu’est-ce que je veux garder ? Est-ce que ça a du sens ? »

Il faut changer pour vivre ensemble : d’abord « s’apprivoiser », s’approcher de l’autre, lui donner un nom, entrer en dialogue. Avoir de la curiosité, établir une relation harmonieuse, égalitaire, qui tienne compte des valeurs des uns et des autres.

Il faudrait toujours de la réciprocité dans la relation : les accueillants de leur côté, les accueillis, aussi.

Il y a nécessité de mixité, brassage, métissage, mais ne pas confondre l’autre et moi, et savoir mettre ensemble ce qui vient de lui et ce qui vient de moi. « Qu’est-ce que nous avons à mettre ensemble dans le même panier, pour que, une fois ce panier remué, cela donne quelque chose de beau ? »

Parce que nous avons tous quelque chose en commun, nous sommes faits de la même pâte humaine, universelle. Quand je vois l’autre, je me dis : « Il est comme moi, on rit des mêmes choses, on pleure des mêmes choses, on s’émerveille des mêmes choses ! » Notre vie, de façon basique, est organisée de la même façon !

Cette connaissance a des limites qu’il faut accepter : l’autre reste un mystère, on n’épuise pas cette connaissance.

Ma mère dit toujours : « Le ventre d’une personne, c’est comme un pays, ou une nation, ou un continent, tu ne peux savoir tout ce qui est caché ».

Alors, finalement, c’est quoi un migrant ? Un migrant, c’est d’abord quelqu’un ! Ce n’est pas un phénomène migratoire ! C’est quelqu’un qui est en marche vers de nouvelles expériences et de nouvelles rencontres. C’est un déplacé : il est parti, il a quitté son lieu d’origine, il a vécu la séparation.

Il a abandonné ce qui lui était familier, ceux qu’il aime, mais souvent il part pour partager avec les siens. C’est un nomade, quelqu’un qui amène son troupeau pour le faire paître, pour le faire boire.

Comme il doit physiquement « tout quitter » pour recommencer, il fait le ménage, il choisit ce qu’il laisse et ce qu’il emporte. Il doit apprendre à vivre avec l’imprévu : il a de la créativité, des ressources, des compétences pour vivre avec l’inconnu…

C’est un chercheur de trésor, mais il ne sait pas quel est ce trésor ni où il se trouve !

C’est un chasseur qui n’a pas trouvé à manger et il part chasser différemment. Peut-être luimême a-t-il été chassé (par la guerre ou des conditions de vie indignes). Mais il n’est pas toujours le bienvenu, il ne se sent pas accueilli, il peut être chassé à son tour.

Il est toujours le dernier, mais il veut cette place parce qu’il a toujours à apprendre avec n’importe qui !

La migration est une expérience de reconstruction de vie : on recommence par un départ, et on va faire des adaptations, de ce que l’on connaissait vers ce que l’on ne connaît pas.

Un migrant est quelqu’un qui se trouve, se retrouve dans l’expérience de la migration : en quittant ceux qu’il aime, il découvre qui il est.

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