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Une CL en marche face aux épreuves du grand âge et de la maladie

Texte initialement publié dans la newsletter régionale de Bretagne occidentale.

Un choix de vie pour être plus vivant et aider à le rester

 Une décision

En début d’année 2018, suite à un discernement communautaire, nous avons décidé de rester en équipe avec Robert et Odette tant que cela serait possible et souhaité par eux.

Une première modification avait déjà eu lieu en 2008, les réunions avaient lieu en soirée à ce moment-là et Robert avait déjà pensé quitter la CL : nous avions alors interrogé les 2 autres CL de Lannion pour faire une équipe avec des personnes en capacité de se réunir en après-midi, il y avait eu recomposition et une nouvelle équipe constituée avec 3 personnes en activité professionnelle et des retraités.

En 2018, la question est reposée et nous avons décidé de poursuivre avec eux.

C’est de ce parcours dont nous voulons témoigner ici.

La fidélité dans le compagnonnage

Une situation

En fin 2017, la situation est la suivante : notre CL comprenait 2 personnes avoisinant les 80 ans et l’une d’elle, Odette, est atteinte d’une forme de maladie d’Alzheimer. Il y avait 4 autres membres d’équipe entre 55 et 63 ans et une seule personne était encore en activité professionnelle, cette personne accompagnait sa mère qui souffrait d’une maladie équivalente à celle d’Odette, avec des difficultés similaires qui seront donc mieux comprises et partagées.

Odette est en CVX depuis 35 ans et Robert depuis au moins 20 ans.

Lorsque la maladie d’Odette a été diagnostiquée, son mari a mis beaucoup de temps à accepter que ce serait un chemin sans retour : Odette a commencé par oublier des choses, puis elle a eu du mal à relire pour préparer les réunions, elle s’est mise à parler toujours des mêmes activités et des mêmes problèmes et a dû abandonner peu à peu ses nombreuses activités associatives. Robert avait déjà 80 ans et il envisageait de quitter la communauté pour ne pas nous encombrer. L’ESCR avait de son côté envisagé de faire sur la ville de Lannion et les alentours une CL avec toutes les personnes de plus de 80 ans dans les 3 équipes du territoire.

Un discernement

Nous avons alors choisi de prendre une journée en décembre 2017 avec notre accompagnatrice à l’Île Blanche pour nous interroger sur notre avenir, en posant tout d’abord l’alternative à Robert : Voulait-il quitter la CVX ou bien rejoindre cette équipe ou bien nous décidions de continuer ensemble ?  Sa réponse a été sans équivoque, il ne voulait pas d’un EHPAD CVX ! Et si on s’adaptait, il souhaitait continuer en CVX avec sa femme le plus longtemps possible. Nous avons ensuite fait un discernement communautaire en CL en janvier 2018. Nous avons décidé de les accompagner en équipe le plus longtemps possible et communiqué ce discernement à l’ESCR qui l’a accepté.

En fin 2018, Pierre a rejoint notre équipe, il était veuf depuis quelques mois, souhaitait rejoindre une équipe d’après-midi et avait déjà été en équipe avec beaucoup d’entre nous au hasard des recompositions, lui aussi souhaitait poursuivre son chemin en CVX après 50 ans d’appartenance : il connaissait Odette et Robert et a fait sienne notre décision.

Une organisation qui s’adapte

Au fil des mois, Odette est devenue trop perturbatrice pour que nous puissions continuer les réunions avec elle, elle ne pouvait plus qu’écouter et se joindre à la prière puis un peu plus tard elle ne savait plus ce qu’elle faisait là, voire ne nous reconnaissait plus vraiment. Robert lui, était très stressé par cette situation, il s’énervait des interruptions incessantes d’Odette qui, ayant oublié ses appareils auditifs, disait ne rien entendre. Arriver à l’heure avec Odette lui demandait un trop gros effort, et il ne pouvait en présence de sa femme nous partager son mal être en ne sachant pas ce qu’elle comprenait.

Nous avons alors décidé de faire les réunions, à Lannion, les jours où Odette va à l’hôpital de jour et donc sans elle. Cela nous oblige à un timing très serré car Robert doit impérativement être rentré chez lui pour son retour. C’est complexe pour Christine qui travaille encore et pour notre accompagnatrice mais nous avons tenu de cette façon pendant au moins 4 ans, à peu près sans absence des uns et des autres. Ainsi, Robert peut parler librement de son parcours d’aidant et de mari et souligne presque à chaque fois combien il est précieux pour lui d’avoir un lieu où il peut dire ses difficultés et être soutenu par le compagnonnage et la prière.

Nous avons ainsi traversé l’époque du COVID, au téléphone.

La situation devenant plus difficile pour Robert, nous avons les 2 dernières années fait nos rencontres chez lui à Lanvellec, avec un covoiturage à partir de Lannion pour 4 membres, cela nous donne aussi un peu plus de temps entre 14h30 et le retour d’Odette vers 17h.

En plus de ces réunions de CL, nous faisions une ou deux fois par trimestre un repas partagé chez eux, nous arrivions avec le repas, nous nous installions à leur table avec Odette et nous déjeunions en bavardant, ce qui est très important pour Robert qui ne peut avoir aucune conversation avec Odette le reste du temps et en souffre beaucoup. Après le repas, nous prenions un temps de prière, avec le texte écrit et essentiellement sous forme de lecture et de prières ou chants qu’Odette peut avoir gardés en mémoire. Il n’est pas possible de partager sans la mettre en difficulté. Les psaumes, le Notre Père, le Magnificat sont des bons supports, tout ce qui permet une répétition, les gestes et les symboles peuvent aussi nous aider.

En avril 2024, Odette a été placée en unité spécialisée à Lannion et Robert vit désormais seul : pour le moment nous avons continué à faire les rencontres chez lui aux mêmes horaires.

Les fruits de ce choix

  • Ce choix fait en 2018 nous lie en tant que frère et compagnons.

Au départ être avec des compagnons âgés n’était pas un souhait pour la plupart, nous ne nous posons plus la question. Ce choix maintenu dans la durée nous permet de surmonter les difficultés et de nous adapter.

Ce choix fait dans la confiance et auquel nous restons fidèles nous rend vivants.

  • Nous sommes tenus à une grande simplicité dans la préparation des réunions. Les sujets abordés doivent être proches du quotidien, simples et compréhensibles à nos anciens, pas de questions trop abstraites ou trop éloignées de leurs vies. On parle de nos vies concrètes et de petites choses parfois très importantes, de maladie, de repas, de rendez-vous, de relations familiales, de solitude, de la vie en Église, de solidarité etc…
  • Nous nous confrontons à notre humanité dans le réel
  • Nous sommes tenus à une adaptation permanente mais en nous appuyant les uns sur les autres nous n’en finissons pas de nous étonner de notre capacité à inventer !
  • Nous sommes tenus à l’essentiel, émerveillés d’entendre comment nos aînés « négocient » leur avancée en âge : le corps qui renâcle et ne peut plus assurer de rien, demande de supprimer plein de choses aimées, le cerveau qui ralentit et tout ce qui nous dépasse et sur quoi on perd prise. Nous admirons leur énergie encore conservée, leur attention aux autres, leur envie de prendre soin de leur vie intérieure et de garder du sens à leur vie. Tout cela nous montre un chemin et nous édifie.
  • Écouter les compagnons permet de mesurer le chemin déjà parcouru et à parcourir pour vivre en liberté, en chercheur de Dieu.
  • Nous pouvons témoigner d’une vraie vie de CL avec discernements (par ex pour le travail, ou pour un appel à une mission), des soutiens dans des périodes de maladie, des soutiens dans différents engagements associatifs…
  • Quand il a fallu que Robert se fasse à l’idée de mettre son épouse en EHPAD, de « l’abandonner », « de la lâcher » suivant ses expressions : nous l’avons écouté avec une attention bienveillante, nous l’avons soutenu et encouragé dans ce passage.
  • Ce compagnonnage avec les anciens de la communauté nous rend plus attentifs aux petits et aux fragiles dans nos familles ou dans nos engagements associatifs : le partage de notre vie d’aidants nous permet de nous éclairer mutuellement, de chercher ensemble la vie dans les gestes, les attitudes les plus ténues de nos proches accompagnés. Ce peut être dans le travail auprès des jeunes et des adultes handicapés ou bien dans la relation avec nos parents âgés où nous nous enseignons les uns, les autres : les propos de Robert et ses difficultés avec ses fils renseignent sur ce qu’un parent n’aime pas dans le comportement de ses enfants et permettent d’ajuster son comportement.
  • « Très vite j’ai ressenti qu’il ne fallait pas que je m’enferme et que ce n’était surtout pas le moment de rompre avec CVX. Ce contact avec les compagnons de longue date m’est devenu indispensable. Une porte ouverte sur le concret d’une vie qui a été pour moi comme une prière. Au fil des rencontres ce qui m’a beaucoup aidé, c’est l’écoute , l’accueil et le partage de ma détresse que j’ai du mal à vivre. Et surtout pas de jugement ni de recommandations. Les biens de nos rencontres que j’ai le plus ressentis auront été l’écoute et le respect. »
  • Quelques regrets ou difficultés cependant !

– Nous pouvons être tentés parfois de nous réfugier dans le conseil pratique face aux difficultés partagées en oubliant le compagnonnage spirituel et la croissance des autres membres de l’équipe

– Les membres les plus jeunes aimeraient parfois aborder des sujets plus en lien avec la société.

– Les membres encore actifs de la CL souhaitent depuis 5 années, un renfort de personnes pas trop avancées en âge et cet espoir est toujours déçu ! Personne ne souhaite intégrer notre CL : cela fait-il peur ?

Pour conclure :

 Nos accompagnatrices, les sœurs de l’île Blanche, en sont les témoins :

C’est un choix de vie qui a été fait : être plus vivant et aider l’autre à le rester.

 « Choisis la vie », cette invitation du Deutéronome qui revient souvent dans nos échanges en CL, nous dit qu’en toute situation, le meilleur est possible et toujours à chercher.

Nous nous battons contre l’indifférence, voire l’exclusion des personnes âgées. Chacun de nous aura un jour à vivre ces ruptures qui accompagnent le grand âge ; la manière dont les aînés de notre CL vivent les dépossessions successives nous invite à cultiver la vie intérieure dont ils nous parlent souvent, à mesurer ce qui est essentiel dans nos vies, ce qui tient quand tout se dérobe…

Pour tout cela nous pouvons rendre grâce !

Anne, Viviane, Christine, Pierre, Robert et Sœur Monique, membres de la communauté régionale Bretagne occidentale

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