Durant l’hiver 1522, Ignace prît une décision capitale qui avait pour lui un caractère irréversible : quitter le logis familial dans l’espoir de rejoindre Jérusalem. En fait, depuis Loyola, ce périple le mena dans un premier temps à Montserrat et Manresa près de Barcelone. Ce fut une période décisive dans son existence. Ces lieux sont restés des lieux de pèlerinage pour ceux qui se nourrissent de la spiritualité ignacienne, ils sont depuis quelques années reliés par un itinéraire pédestre balisé reprenant pour l’essentiel l’itinérance espagnole d’Ignace.
Cette possibilité d’emprunter un tel chemin se révéla pour nous deux, compagnons CVX de Brest et de Pau, ayant déjà accompli récemment le Camino de Santiago, comme un projet enthousiasmant. Aussi, très vite, il s’imposa à notre cœur et notre esprit que ce chemin nous attendait… Nous décidâmes donc de nous mettre en route début septembre 2018 pour entamer la première moitié du chemin, de Loyola à Saragosse, laissant à l’an prochain l’accomplissement du reste, de Saragosse à Manrèse. Le chemin d’une longueur totale d’environ 650 kms mobilise pour le parcourir quatre semaines qui peuvent être nourries spirituellement par les quatre semaines des exercices spirituels.
Nous débutons notre périple le samedi 8 septembre par l’eucharistie avec la communauté des sœurs de Jésus-Marie, qui nous hébergent, à Azpeitia proche du sanctuaire de Loyola. Nous rejoignons ensuite le cœur du sanctuaire en prenant notre temps de méditation priée dans l’oratoire établi dans la chambre même où Ignace vécut sa convalescence, au cœur de la maison natale fortifiée extrêmement bien restaurée. Ce moment fut capital pour la suite, car nous nous y sommes imprégnés de la présence et de la soif spirituelle d’Ignace lors d’une véritable rencontre intérieure.
C’est donc le cœur léger que nous nous élançons pour traverser les montagnes de la province basque de Guipuzcoa durant la première semaine. Ce parcours nous mène dans des magnifiques paysages accidentés. La végétation est bien verte et le chemin sinue dans les vallées et franchit les reliefs par des cols jusqu’à 1200 m. Ceci implique des dénivelés quotidiens de 700 à 900m qui nécessitent des efforts. Ceux-ci sont récompensés par des paysages d’une très grande beauté, et la fréquentation d’animaux en liberté sur ou à flanc des crêtes.
Des sites remarquables nous accueillent, dont le plus notable est celui d’Arantzazu qui est un grand sanctuaire marial accroché à flanc de falaise. Nous nous y joignons aux nombreux pèlerins et vivons ces moments de recueillement en pensant à la nuit de prière qu’y vécut Ignace. Les étapes se succèdent, avec des hébergements dans des gites de pèlerins ou des chambres d’hôtes rurales. Nous débouchons bientôt dans la plaine de la Rioja vers la magnifique cité médiévale de Laguardia, puis Navarette où Ignace s’attarda à la résidence de son employeur le duc de Najera. Dans ce lieu nous rencontrons de nombreux pèlerins qui arrivent en sens inverse sur le chemin de St Jacques. En effet les deux chemins se chevauchent le temps de deux étapes. Les liens entre pèlerins se créent rapidement et simplement, même si ceux-ci viennent de très loin : Canada, Alaska, Corée, Italie, Etats-unis, etc…
Il faut ici s’attarder sur cette simplicité d’entrée en relation qui est inhérente à notre statut de pèlerin. Celui-ci gomme d’une certaine manière tout statut social qui est souvent obstacle aux vraies relations. Sur le chemin, aux yeux des autres, nous n’existons que par notre état de marcheur. En Espagne, il faut reconnaitre qu’il existe une forme de respect pour ce statut du fait sans doute de leur nombre mais aussi d’une atmosphère religieuse ambiante bien plus préservée qu’en France. Ceci a eu pour conséquence l’attention et la bienveillance des personnes rencontrées qui se sont démenées pour nous renseigner ou nous guider vers des lieux d’approvisionnement, de restauration ou d’hébergement. Le fait de manger dans des lieux publics le midi, d’être vêtus sobrement et de porter un lourd sac à dos identifiant notre caractère pérégrinant confère d’emblée une posture de personne fréquentable et accessible. Nous en avons fait maintes fois l’expérience et cela nous donne à réfléchir sur nos codes relationnels dans la vie de tous les jours. De même, entre pèlerins et avec les autochtones la salutation est de rigueur lorsqu’on se croise…Nous sommes touchés en retrouvant cette qualité relationnelle non calculée bien éloignée de l’anonymat et de l’indifférence présents très souvent dans nos grosses cités.
Après ces villes étapes communes aux deux chemins, Navarette et Logroño, nous entamons une deuxième semaine bien différente dans sa physionomie. Nous allons cheminer dans la plaine du fleuve Ebre et le côtoyer régulièrement. Il n’y a plus de relief, mais des longues lignes droites dans des zones de cultures maraichères et fruitières. L’ambiance s’en trouve changée et correspond peut-être davantage à la deuxième semaine des exercices par un rythme constant et sans accident. Ces temps de prière rythment nos journées, méditation le matin et relecture le soir, et parfois nous pouvons participer à une messe locale. Ce fut le cas avec la bénédiction des pèlerins dans l’église Saint Jacques de Logroño. Le chemin d’Ignace n’est pas beaucoup fréquenté pour le moment, ce qui laisse la place à de grandes plages de solitude propices à la réflexion et la méditation, car nous ne marchons pas tout le temps au même rythme tous les deux. L’environnement est très rural, constitué de petits villages qui s’égrènent tel un chapelet tout au long de la route. Ils sont l’occasion bien sûr de ravitaillement mais aussi de belles rencontres avec un certain caractère biblique pour quelques-unes, telle cette jeune femme musulmane voilée qui osa nous parler et nous donner à boire alors que nous arrivions assoiffés au village ou encore au détour d’un chemin, ce berger rencontré qui laissait son troupeau de neuf cent brebis rentrer seules au bercail pour aller chercher à mobylette une retardataire blessée… ces anecdotes, et il y en a bien d’autres, nous ont fait l’effet comme d’un dialogue régulier avec le Seigneur qui nous adressait quelques épisodes évangéliques pour nous enseigner et attirer notre attention sur des thèmes importants tels que le prendre soin des autres différents…
Ces longues étapes de plaine furent physiquement assez éprouvantes car longues et pour leur achèvement menées sous un soleil de plomb. Mais notre ardeur était intacte, et notre solidarité constante, tels les pèlerins envoyés deux par deux. Ce compagnonnage s’est avéré riche car nous plongeant au fond de nos réalités humaines ; notre promiscuité permanente confrontait notre amitié fraternelle aux exigences de la vie commune dans ses moindres détails et c’est là un challenge qui se remporte grâce à notre foi profonde. Celle-ci dispose à la présence divine transcendant toute divergence inévitable.
La pérégrination sur le chemin est une voie d’ascèse dans son sens premier d’exercice. A la suite d’Ignace cela prend un relief particulier dans notre itinéraire en CVX. Nous l’avons vécu en relation et en communion avec les compagnons de nos communautés locales et régionales, qui nous soutenaient par messages et que nous portions dans nos sacs et dans nos cœurs. Cette aventure, car cela en est une, avec des imprévus jusqu’au dernier moment du voyage retour -comme si Ignace voulait éprouver notre indifférence et notre détachement- a été un moment très fort sur tous les plans et déjà notre tête vagabonde vers le désert des Monegros en Aragon qui nous attend en septembre 2019 pour la deuxième partie de ce pèlerinage. Nul doute que nos compagnons de CVX ou d’autres groupes s’élanceront de même nombreux sur ce beau chemin, grâce à la diffusion de l’excellent guide en français édité par les éditions Vie Chrétienne.