Chers compagnons
La vie de la Communauté de Vie Chrétienne (CVX) ne se réduit pas à sa vie en propre. Elle est insérée dans l’Église dans une communauté de destin avec elle.
De grandes turbulences agitent notre Église. Le pape François a adressé une « Lettre au peuple de Dieu », le 20 août et nous nous devons d’y répondre. Voilà ce que nous vous proposons pour que, dans la durée, CVX puisse apporter quelques réponses concrètes à l’appel du pape. Ce texte, fruit de nos échanges en Équipe Service de la Communauté Nationale [ESCN], est aussi un appel au dialogue et au discernement de chacun.
A) Un sentiment de gratitude pour la parole qui se libère
– Nous avons constaté que, parmi nous, membres de l’ESCN, plusieurs avaient été victimes d’agressions dans leur enfance ou leur adolescence. Ce constat prouve que ce sujet concerne tout le monde, dans tous les milieux.
– Nous avons constaté aussi que cette lettre réactive des souvenirs, et nous pensons que cela est positif : pour briser le silence, pour permettre des échanges, pour aider ceux qui ont subi de telles exactions à en parler, pour soutenir communautairement cet effort de vérité.
– Face à ces deux constats, nous avons le désir d’avancer concrètement à partir de ces deux axes : pédophilie et « cléricalisme », en lien avec notre charisme et les moyens inhérents à notre spiritualité.
B) Des propositions de rencontres pour aider à libérer la parole
– Nous avons constaté l’importance de l’écoute des personnes abusées qu’il s’agisse de pédophilie et plus largement des violences faites aux enfants. La parole ne peut émerger que dans le respect et la bienveillance.
– Nous ne pouvons ni ne voulons nous substituer aux professionnels. Mais nous sommes témoins que la parole en communauté locale (CL), lorsqu’elle est possible, est libérante.
– En ce sens, et compte tenu de l’expérience de la CVX dans l’accompagnement humain et spirituel des personnes, l’ESCN s’interroge sur la possibilité de proposer des week-ends où la parole puisse émerger, après parfois des années, voire des décennies, de silence. De telles propositions ne se mettront en place que si des demandes de temps de rencontre en ce sens sont adressées à la CVX. Certains membres concernés pourraient contribuer à bâtir ces propositions, avec l’aide d’accompagnateurs choisis.
Si nous nous posons des questions sur des situations litigieuses dans notre diocèse, comment mettons-nous en œuvre la circulation de la parole et le discernement ? en CVX ? ou plus largement en Église ?
C) Des propositions pour soutenir les familles
– Le chantier « Réalités familiales » a pour but d’aborder les principales questions qui se posent aujourd’hui aux parents face à leurs enfants. Dans le domaine de la prévention des abus sexuels, certaines questions ont besoin d’être approfondies : l’éducation à la liberté, la capacité à dire non, l’écoute… Nous demandons à l’équipe « Frontière familiale » d’inclure cette dimension dans ses réflexions et ses propositions.
– Nous relançons aussi une équipe de veille sur la question des violences familiales : des personnes ont déjà été appelées pour cela.
– Face au besoin éventuel de réconciliation au sein des familles (en vue d’aider à la résilience des personnes abusées), nous souhaitons inviter chacun à se poser quelques questions, sous le regard de Dieu :
Quelle est ma bienveillance personnelle envers les personnes ayant subi des abus ?
Quelle est ma disponibilité intérieure, ma capacité d’écoute face à cette souffrance ?
Que suis-je prêt à donner de moi-même pour favoriser les réconciliations avec soi-même, avec Dieu, avec le prochain…
D) La tentation du cléricalisme, quand le service se transforme en pouvoir
– Nous avons constaté que, dans le clergé comme parmi les laïcs en responsabilité, lorsque le pouvoir, au lieu d’être reçu comme un service, est revendiqué comme un droit, cela conduit à diverses dérives et abus. Ce qui se traduit par des attitudes de cléricalisme qui sont en grande partie, comme le pape François le dit lui-même, responsables « des abus sexuels, des abus de pouvoir et de conscience » commis dans l’Église et de leur impunité.
– Au sein de la CVX de nombreux outils de gouvernance ont été mis en place. En plus d’exprimer notre charisme, ils peuvent nous prémunir du cléricalisme : la coresponsabilité croissante accompagnateurs-responsables, les mandats à durée limitée avec l’acceptation de la jachère, l’appel aux responsabilités par les frères (et non par candidature), les élections… Tous ces outils sont autant de garde-fous pour éviter de tomber dans les pièges du pouvoir, tant pour les clercs que pour les laïcs.
– Nous rendons grâce pour ces garde-fous et nous appelons à rendre grâce en étant conscient que notre Communauté laïque, qui se constitue par la circulation de la parole et non par l’obéissance, offre des outils à conserver, à faire vivre et à proposer.
– Au sein de la CVX, il n’y a pas de rapports hiérarchiques puisque prêtres, religieux ou religieuses et certains laïcs formés ont un même rôle d’accompagnateurs, ordonnés à la croissance de la Communauté. De même, il n’y a pas, entre les membres, de rapport d’obéissance mais une écoute active, jusqu’au bout. Nous rendons grâce pour le caractère laïc et le charisme de notre Communauté. L’occasion pour nous de remercier les compagnons jésuites, les religieuses, les prêtres diocésains qui nous apportent leurs aides fraternelles.
– La spiritualité ignatienne et la pratique du discernement forment à la liberté individuelle, à l’autonomie intérieure qui sont également des garde-fous face à la tentation du cléricalisme. Sachons recevoir ce don précieux pour nous et pour l’Église. Sachons le maintenir notamment dans la manière de vivre en tous nos temps de formation.
– Face au besoin éventuel de réconciliation avec l’Église, nous souhaitons inviter chacun à se poser quelques questions :
Comment est-ce que j’exerce mon discernement et ma liberté ?
Mon attitude envers les personnes à qui avec d’autres j’ai confié un pouvoir : Confiance aveugle ? Attitude critique ? Relations bienveillantes ?
Comment est-ce que j’agis pour combattre le cléricalisme ?
Quels actes positifs et constructifs je peux poser dans ma paroisse, mon diocèse, auprès des laïcs ? Auprès des clercs ?
Qu’est-ce que je propose pour vivre des relations d’Église ouvertes et saines ?
– Nous souhaitons appeler un groupe de compagnons qui auront pour tâche de préparer un parcours autour de la tension « pouvoir/service ». Ce parcours devra permettre à chacun, en CL, de s’interroger sur les divers secteurs de sa vie (en couple, en famille, au travail, dans sa vie sociale, dans vie ecclésiale…) afin de vérifier qu’il est bien au service. Ce parcours pourrait même être proposé plus largement, à l’instar du parcours « Voter en conscience » du printemps 2017. Si vous avez une proposition allant dans ce sens, nous vous invitons à nous la faire connaître.
Au-delà de l’action… la prière de soutien.
Nous sommes conscients qu’on ne peut lutter contre ce fléau de la pédophilie, des abus de pouvoir et de conscience qu’en prenant en compte tous les acteurs, non seulement les personnes abusées, les témoins, mais également les auteurs. Si la dénonciation et le jugement par la Justice sont nécessaires, la condamnation ne résout pas à elle seule le problème.
Le Pape évoque « la dimension pénitentielle de la prière et du jeûne » nous pouvons prendre part à cet appel du Pape de « demander pardon pour nos péchés et pour ceux des autres ». Nous vous invitons à prier instamment pour toutes les personnes concernées.
A nous, compagnons CVX, laïcs, peuple de Dieu, d’ouvrir un chemin de paix, de joie et d’espérance.
Brigitte Jeanjean Christine Beaude, Emmanuel Grassin d’Alphonse, Eric Weisman-Morel, Jean-Luc Fabre et Pierre Guy, membres de l’ESCN.