Témoignage sur le dialogue inter religieux lors de la fête régionale de la CVX ProMedCorse, le 29 mars 2025 à la Sainte-Baume
Nous venons d’échanger sur ce qu’est la paix pour nous. Dans ce monde en plein tumulte, avec la guerre en Ukraine et à Gaza, et encore plus depuis l’élection de Donald Trump et ses décisions qui bouleversent l’ordre du monde, avec les incertitudes, la peur de l’étranger qui se répand, il est encore plus important qu’avant de s’engager pour la paix et d’être témoins d’espérance, envers et contre tout.
Pour cela, je suis convaincue que le dialogue interreligieux est incontournable. Ce dialogue nous aide à aller au-delà des barrières érigées par nos religions, nos croyances, nos préjugés. Il nous pousse à nous former sur la religion de l’autre et aussi à rencontrer l’autre différent, à créer avec lui des liens de confiance et d’amitié. Soutenue par mes compagnons CVX, j’avance dans cet engagement dans le dialogue interreligieux, notamment au sein de l’association Chemins de Dialogue à Marseille. Je voudrais partager avec vous quelques points qui me touchent tout particulièrement, qui m’ont fait grandir et que j’espère vont vous stimuler.
Tout d’abord le dialogue avec nos frères juifs. Cela résonne avec cette parole du Christ à propos de la Loi (Mt 5,17) « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ». Nous, chrétiens, avons cru trop longtemps que la nouvelle loi abolissait l’ancienne, que l’Eglise devenait le peuple élu et que le peuple juif n’avait plus lieu d’être. Cela a nourri des siècles et quasiment 2 millénaires d’antisémitisme (cf. cours d’un certain JM Aveline !). Tout le travail fait pour nous réapproprier nos sources juives (ce qui a mené à la déclaration Nostra Aetate dont on fête cette année les 60 ans) est très important. Les juifs sont nos frères aînés et bien des théologiens affirment que nous serons ensemble jusqu’à la fin des temps. La fidélité de nos frères juifs nous interpelle. Lire la Parole avec eux est particulièrement riche. C’est en cheminant ensemble, chrétiens et juifs, que nous nous stimulons mutuellement pour grandir dans la foi en Dieu. À un moment où monte l’antisémitisme dans notre pays, c’est encore plus important de se rencontrer, de se soutenir et aussi de se former sur la religion juive.
Je voudrais ensuite parler du dialogue que je vis à Marseille avec des amis musulmans depuis 2012, au sein d’un groupe islamo-chrétien. Au cours des mois, nous avons échangé sur des thèmes tels que la prière, la transmission de la foi, la laïcité etc. Des liens se sont tissés, des amitiés se sont approfondies, même si au début nous chrétiens n’osions pas trop parler de notre foi et avions plutôt envie d’écouter nos amis musulmans. Aujourd’hui, c’est plus équilibré. À chaque rencontre, nous partageons autour d’un texte de la Bible et un texte du Coran. Nous avons même écrit une petite prière que nous lisons ensemble à la fin de chaque rencontre. Nous avons vécu ensemble quelques belles soirées d’iftar, la rupture du jeûne durant le mois de Ramadan. Nous aimons participer ensemble au pique-nique islamo-chrétien qui depuis 2017 réunit à Marseille pour une journée chrétiens et musulmans, jeunes et moins jeunes, pour des temps de partage, de spectacle, de repas, de prière. Le prochain sera le dimanche 18 mai, au parc St Maur à Marseille. Vous êtes bien sûr tous invités !
Des liens se sont tissés au fil des années. Je témoigne aujourd’hui que de belles relations sont possibles, et contribuent à bâtir la paix autour de nous, dans nos quartiers et nos villes. Je trouve important de témoigner autour de moi qu’un tel groupe existe et qu’il m’apporte beaucoup. Oui, c’est possible de se rencontrer ! Mes amis musulmans me stimulent par leur fidélité à Dieu, par leur prière 5 fois par jour, Dieu présent dans leur quotidien, leur sens profond du partage et de l’hospitalité. Un autre bel endroit de dialogue sont les rencontres de la communion Tibhirine, des weekends où se rencontrent chrétiens et musulmans, dans un vrai échange spirituel. Agnès Charlemagne pourra en témoigner !
Sur le dialogue entre chrétiens, juifs et musulmans, tellement nécessaire aujourd’hui, je voudrais mentionner une table ronde que j’ai eu la joie d’animer lors des Rencontres Méditerranéennes en septembre 2023 sur le thème de l’art du dialogue, avec un prêtre, un imam et un rabbin. Ce fut un moment fort, devant une salle pleine. J’ai aussi beaucoup aimé la préparation de cette soirée qui a vraiment tissé des liens entre nous et a mené à une ouverture de nos cœurs. C’était juste avant le 7 octobre 2023, mais ces témoignages conjoints continuent de se poursuivre aujourd’hui. On sent autour de nous un vrai désir de vivre de tels moments.
Un autre dialogue est important pour moi et c’est là-dessus que je travaille et enseigne : le dialogue avec le bouddhisme, le bouddhisme que j’ai découvert lorsque j’habitais Singapour. Cette rencontre m’a fait évoluer dans ma vie spirituelle et aussi tout simplement dans ma vie quotidienne. Dans le bouddhisme, on parle d’interdépendance, du fait que tout est lié. Même avant la parution de l’encyclique du pape François Laudato si’, creuser cette notion m’a fait prendre conscience que j’avais à travailler sur mes pensées, mes émotions afin d’essayer d’arrêter de contribuer au malheur du monde par mes pensées négatives, mes paroles de râleuse ou mes propos agressifs. Un vœu revient souvent dans la pratique bouddhiste de méditation : « Que tous les êtres soient heureux ». Ma méditation silencieuse me met en relation profonde avec tous les êtres vivants, avec le monde autour de moi. Je suis en quelque sorte responsable de l’état du monde. Cette notion d’interdépendance est entrée en résonance avec des paroles d’Évangile sur l’unité, devenues trop banales car trop entendues. Elle les a en quelque sorte purifiées, renouvelées. C’est la fréquentation du bouddhisme, de ses textes et de ses pratiques, qui m’a aussi fait découvrir les écrits des Pères du désert, la pratique de méditation chrétienne et l’importance de travailler à se détacher de son ego. Cela m’a permis de faire des ponts entre spiritualité et psychologie. Comme l’écrit le moine Thomas Merton qui a beaucoup travaillé sur le dialogue avec les religions d’Asie : « Si nous n’avons pas la paix en nous, nous ne l’aurons pas autour de nous ». En plus d’un accompagnement spirituel ignatien, la fréquentation du bouddhisme m’a aidée à ancrer ma pratique de prière dans le silence, à me recentrer, à ne pas me disperser. Le yoga m’aide aussi beaucoup et je témoigne volontiers de ses bienfaits quand je parle du dialogue interreligieux (auprès de certains chrétiens restant très méfiants vis-à-vis de cette pratique issue de l’hindouisme). Toutes ces choses peuvent aider à faire la paix en soi et par conséquent autour de soi. Approfondir sa connaissance du bouddhisme est aussi un très bon moyen de s’équiper pour entrer en relation avec toutes les personnes en recherche spirituelle, dans un monde où on a de plus en plus besoin de silence.
Pour résumer, je dirai que la pratique du dialogue avec des croyants d’autres traditions m’a fait grandir, a purifié ma foi chrétienne et a fait évoluer ma vision de Dieu. Elle a élargi l’espace de ma tente, elle m’a aidée à être à l’écoute de l’Esprit qui parle au cœur de chacun. Le mystère de la pluralité religieuse (Dieu a-t-il voulu toutes ces différences ?) m’ouvre sur le mystère de Dieu. Dieu est un mystère dont je n’aurai jamais fait le tour. Je ne peux donc jamais dire que je possède la vérité. Je peux seulement marcher humblement vers elle. Je ne peux dire que je possède l’accès unique à Dieu… même si je crois profondément que le Christ est le chemin, la vérité et la vie. Il s’agit d’accepter d’apprendre des autres, d’avoir la conviction que l’autre a quelque chose d’important à me dire. Là aussi, la personne humaine est un mystère dont je n’aurai jamais fait le tour. Je suis convaincue et peux témoigner que les autres peuvent nous apprendre des choses sur le Christ que nous n’aurions pas découvertes sans eux.
Je vous invite donc à ne pas hésiter à aller au pays de l’autre et à expérimenter la joie de la rencontre !
J’aimerais terminer par cette prière du Pape François, extraite de Laudato Si’, « Prière pour notre terre »
Apprends-nous à découvrir la valeur de chaque chose, à contempler, émerveillés,
à reconnaître que nous sommes profondément unis à toutes les créatures
sur notre chemin vers ta lumière infinie.
Merci parce que tu es avec nous tous les jours.
Soutiens-nous, nous t’en prions, dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix.
Agnès