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Valérie témoigne sur la frontière « pauvreté »

Valérie partage son vécu comme médecin au sein de la prison, lors de la fête régionale 2024 de la région Provence Méditerranée Corse

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La pauvreté que je côtoie est pour moi – en dehors de celle qui vivent les personnes dans un pays en guerre – la plus rude : la détention.

Dieu est bien sûr à l’origine de ce chemin qui m’y a amené par la parole du Christ : « J’étais en prison et vous m’avez visité ». Elle m’a touchée lorsque j’avais 16 ans mais mineure. J’ai dû reporter ce projet de devenir visiteuse de prison (la prison St Roch se trouvait juste en face de mon lycée à Toulon).

Puis, interne en ophtalmologie, toujours à Toulon, j’ai appris qu’une ophtalmologiste de notre service se rendait à cette prison pour y faire des consultations. Mais j’étais en pleine maternité (alternance de congés maternités, périodes de travail, disponibilités…), et donc prendre le poste mais le laisser vacant six mois plus tard n’aurait pas eu de sens.

Et puis il y a eu la rencontre avec la CVX qui a bouleversé ma vie. J’y ai compris (notamment par le récit d’Ignace et son boulet de canon) que le but de la vie n’était pas d’être le plus fort, mais de s’entraider.

Il y a eu aussi cette parole d’un compagnon d’équipe locale lors du parcours d’accueil (dont j’ai osé bousculer l’ordre du jour d’une rencontre pour demander l’aide au discernement en urgence, car je devais donner une réponse le lendemain au sujet de la reprise de mon travail ou de la poursuite de mon congé parental, avec le projet de faire du bénévolat pendant les horaires scolaires) : « Tu rendras service en exerçant ton métier ». Cela a complètement transformé ma façon de travailler : plus d’écoute, d’empathie, et plus de motivation pour aller travailler le matin.

Mon désir d’enfants assouvi, j’ai repensé à la prison mais la personne qui occupait le poste ne voulait pas me le céder. Peu après, au « hasard » d’une soirée formation entre ophtalmologistes, j’ai été sollicitée pour aller travailler à l’hôpital psychiatrique d’Avignon. Peut- être parce que j’ai bêtement répondu que j’irai vivre dans un monastère à ma retraite si mes moyens financiers étaient insuffisants.

Alors, j’ai pensé à Ste Bernadette dont on nous avait présenté la vie lors du Congrès CVX de Lourdes et qui avaitdû se laisser déplacer et changer son programme : elle qui rêvait de s’occuper des pauvres a dû accepter de se laisser soigner par ses sœurs en raison de sa santé fragile. Je me suis dit : « tu veux aller travailler en prison,mais c’est à l’hôpital psychiatrique d’Avignon que l’on a besoin de toi ! ». Alors, comme j’étais en train de perdre ma grand-mère, originaire d’Avignon et que j’allais visiter une fois par semaine, j’ai accepté !

Très peu de temps après, j’entends sur RCF le témoignage d’une ancienne visiteuse de prison qui avait été forcée de prendre sa retraite à 60 ans. Du coup, elle avait ouvert sa maison aux détenus à leur sortie, quand ils n’avaient nulle part où aller, pour que leur réinsertion se fasse en douceur. Cela m’a tellement touchée que, le jour-même, je suis allée redemander à mon collègue, qui a finalement accepté de me laisser son poste à la prison de Toulon. Deux semaines plus tard je commençais en alternance l’hôpital psychiatrique d’Avignon et la prison de Toulon ! Un grand bonheur d’offrir à ces personnes gentillesse, disponibilité d’écoute et consultation ophtalmologique !

Dix ans plus tard, un détenu de Toulon qui rentrait d’un séjour à Marseille me signale qu’il n’y a plus d’ophtalmologiste depuis un an à la prison des Baumettes. Cette année-là, j’allais tous les vendredis soir à Marseille chercher ma fille en première année de médecine, pour lui faire gagner du temps. Donc, c’était assez logique d’y partir le matin et d’y voir des détenus toute la journée, ce que j’ai commencé le mois suivant.

Trois mois plus tard, trois détenus que je n’avais pas eu le temps de voir sont transférés à la prison d’Aix. Je tenais absolument à ce qu’ils soient vus. Je téléphone à l’infirmerie de la prison d’Aix-Luynes et j’apprends qu’ils n’ont plus d’ophtalmo ni d’opticien depuis un an… Depuis quatre ans j’alterne toujours un vendredi dans l’une et un vendredi dans l’autre.

Quelle beauté et quelle joie de voir comment le Seigneur s’est pris pour m’amener auprès des personnes dans ce lieu qui est mon lieu d’exercice préféré. Je m’y sens encore plus utile et je peux en plus témoigner, leur transmettre tout l’amour dont le Seigneur m’a comblée.

J’ai été touchée pendant le temps de prière que nous venons de vivre par le fait qu’il faut se laisser relever par le Seigneur pour pouvoir aller relever les autres ensuite…

Il faut savoir que ces personnes ont souvent eu une vie très difficile, souvent depuis leur plus jeune âge (violences familiales, retirés à leur famille et élevés en foyer, parents incarcérés ou décédés). Ce sont les pauvres qui sont majoritairement incarcérés, les riches paient et restent dehors ou sortent rapidement).

Et puis je ne veux pas oublier de citer une patiente de l’hôpital d’Aubagne, originaire du Maghreb, qui m’a fait connaître une enseigne où je peux me procurer des lunettes loupes à 1€ et cela a intensifié les fruits de mon travail de façon considérable !

En effet, que tous ceux parmi vous qui portent des lunettes s’imaginent un instant sans lunettes…

Pour des personnes qui n’ont que la télé ou la lecture (que certains découvrent ou redécouvrent, et très souvent la Bible !) comme principale occupation journalière, imaginez leur état et les maux de tête qui s’en suivent ; ou carrément l’impossibilité de lire ou écrire leurs courriers, remplir leurs bons de cantine, signer des papiers.

Je fais tellement d’heureux avec ces petites lunettes qui les dépannent en attendant d’avoir les « vraies ». Il faut voir leur sourire reconnaissant quand ils sortent de mon bureau… C’est un cadeau qui n’a pas de prix. Merci Seigneur pour tout cela !

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