Anne était à l’Assemblée Mondiale en tant que déléguée France avec trois membres de l’ESCN (Pascale Zerlauth, Jean-Yves Blanc et Hervé Le Houerou) et Marie-Emmanuelle Reiss qui a exercé le mandat d’Eurolink auprès de CVX Europe pendant 5 ans. Elle nous raconte ce qui l’a surpris, ce à quoi elle ne s’attendait pas.
Photos : Bruno Cagnon
Pour être honnête je ne m’attendais à rien. C’est un peu provocant de dire cela ou bien finalement conforme à l’attitude demandée quand on rentre en retraite : y entrer avec un esprit large et généreux. Mais la largesse du cœur si elle est demandée dans la prière ne se décrète pas pour autant face aux réalités. Et si je ne m’attendais à rien au sens où je n’avais pas de vision pré-concue comme déléguée, j’ai été surprise quand même. Dans ce type d’événement on vit nécessairement beaucoup d’inattendus.
Le premier inattendu ce sont les contrastes forts entre ce que vivent les communautés d’autres pays et la CVX en France. Peut-on comparer un pays comme le notre fort de plus de 6 000 membres et la Slovaquie avec ces 180 membres (si dynamiques au demeurant) ou l’Irlande qui compte 35 membres dans un contexte de désertion de l’Église ! Nos moyens en France sont abondants… les ressources spirituelles, la revue, les éditions, les centres, la fondation … Ce qui peut être une évidence dans notre fonctionnement, on ne le voit plus. On n’en mesure peut être pas la chance. C’est le contraste qui remet en visibilité les moyens que nous avons. Mais ce qui me semble le plus important c’est la joie du partage vécue de la même manière entre un slovaque, un allemand, un brésilien, un japonais et un français ! Une invitation à se réjouir d’avoir été touchés dans tous les lieux du monde par la parole de Dieu et de la vivre en petits groupes avec la proposition des Exercices spirituels.
Un autre inattendu qui peut paraître anecdotique mais qui m’a fait aussi regarder différemment notre CVX en France, c’est que de nombreux pays présents avaient apporté à Amiens des goodies, des petits objets logotés CVX. Cela m’a étonnée car jamais à l’exception des éco-cup de nos congrès je n’aurais imaginé qu’on offre des porte-clefs CVX en France !
Ce que cela me dit c’est la fierté d’appartenance de ces communautés, et notre frilosité à afficher ce que nous sommes, sans doute liée à un contexte bien français de rapport à la religion et à la laïcité. Cela continue de me questionner : pourquoi cet excès de discrétion parfois dans l’expression de notre foi et de notre appartenance à CVX ?
Sommes-nous si complexes à décrire ou complexés que nous ne risquons pas à nous expliquer sur ce qui nous porte ? Ne devrions-nous pas être davantage des messagers heureux ? Je laisse la question ouverte, mais je me souviens d’avoir récemment témoigné de ce que je vivais dans la spiritualité ignatienne à une jeune collègue qui ne savait pas qui était Ignace et qui connaissait à peine le mot « jésuite ». Elle s’est montrée très intéressée par la démarche de discernement que je lui présentais et surprise que des « non clercs » lisent la Bible ! Un rappel aussi pour moi de ne pas rester dans la bulle de l’entre-soi mais de parler un langage clair et qui touche au cœur.
Inattendue aussi la déferlante de la journée porte ouverte le 6 août : tous ces membres CVX venus de France mais aussi d’Italie, Belgique, Allemagne, Pologne… Cette joie d’être ensemble, de faire église. Ainsi me disais-je il y a tant de membres qui vivent avec enthousiasme leur appartenance à la « famille » et qui ont pris voiture ou train pour se rendre à Amiens en plein août ? J’avoue que j’ai été touchée de ces déplacements qui m’ont déplacée moi-même.
Inattendue encore cette manière joyeuse de vivre ces 10 jours dans des conditions assez spartiates, collective, répétitive (la cantine scolaire matin midi et soir…) comme si nous étions transcendés par tout autre chose que le matériel tout en étant au quotidien plongés dans des efforts de langues à comprendre, d’horaires à suivre, de documents à lire et de salles à trouver.
Nous étions comme un troupeau docile (la plupart du temps !) souriant en réponse aux sourires des bénévoles qui nous guidaient avec leurs panneaux, nous invitaient au silence avant d’entrer dans l’amphi où se déroulait la prière du matin, nous orientaient, nous préparaient les pauses goûter. Ces « foulards jaunes » ont été pour moi le grand repère de cette assemblée, l’amour en acte. Parmi eux les traducteurs/interprètes m’ont bluffée. Sans eux cette communion n’aurait pas été aussi poussée.
Il m’est venu plusieurs fois l’image de la tour de Babel, mais de manière inversée. Plutôt que nous séparer, la multiplication des langues nous conduisait à faire des efforts les uns vers les autres, à se concentrer, à davantage user des sourires, à adopter la langue de l’autre pour chanter durant les célébrations, à traduire à la volée pour ceux qui étaient moins à l’aise, à s’unir malgré ou en raison de nos diversités.
La belle surprise c’est que loin d’être un obstacle les langues sont devenues une langue, et se sont même transformées en un langage commun, celui des regards et du silence partagés. Un jour nous avons prié les uns pour les autres tout simplement en nous regardant en silence de longues secondes, yeux dans les yeux, deux par deux. Je pense que c’est le souvenir le plus étonnant de cette assemblée. Considérer l’autre, ne pas le dévisager mais l’envisager, se donner l’un à l’autre la tendresse du Père sans prononcer une parole.
Anne Gerardin, Délégué France à l’Assemblée mondiale 2023