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Que nous faut-il faire? – p. Philippe Demeestere

Que nous faut-il faire ?


Dans les Écritures, cette question revient à de nombreuses reprises (Lc.3, 10.12.14; Jn.6, 28; Ac.2, 37; etc.). Posée, le plus souvent, par des foules soudainement confrontées à une rupture des lignes d’horizon qui leur étaient,  jusque là, familières. Aujourd’hui, cette même question vient spontanément aux lèvres, devant les soubresauts climatiques, les désastres liés aux différentes pollutions, les mouvements de population provoqués par les guerres, les famines, les persécutions, les prédation économiques. Et nous, donc, d’interroger le colibri : « Avec les moyens qui sont les nôtres, par où commencer ? »

          À ce propos, les incertitudes soulevées par l’accueil des demandeurs d’asile, sont sans doute les plus perturbantes.  Elles nous atteignent dans ce que nous avons de plus intime : les frontières intérieures qui nous structurent ; celles-là mêmes qui nous donnent forme de personnalités avec lesquelles chacun de nos proches a appris à compter au quotidien, que ce soit dans le cadre familial, professionnel ou amical. Elles mettent en lumière et éprouvent les jugements et décisions auxquels nous associons notre prise de corps.

« Prise de corps »? Ce que l’on appelle « Prise d’habit », lors de l’entrée dans certaines formes de vie religieuse, illustre bien comment tout un chacun choisit, de façon plus ou moins délibérée, de se donner contenance, capacité à faire face ; négocie ses porosités, ses clôtures.

   Bref, là où nous sommes, nous pouvons aisément trouver à nous rendre présents aux mondes des étrangers, à travers cours de langue, parrainages, participation à un réseau d’hébergement, accompagnement dans des démarches administratives, contribution à des dispositifs de financement dits « Cent pour un », qui permettent à des familles momentanément sans revenus, de disposer d’un toit, ou encore, tout bonnement, travail de documentation le plus large possible sur les problématiques associées aux phénomènes migratoires. Autant d’initiatives qui se révèlent extrêmement profitables, sous bien des aspects, pour toutes les personnes impliquées.

    Toutefois, si la charité en est absente (Cf. 1Co.13), ces démarches pourront bien écrire de belles histoires d’hommes, elles risquent de ne pas en inscrire les noms dans les cieux (cf. Lc. 10, 17-20). Entendre : elles pourraient échouer à insérer ces histoires dans l’histoire Sainte,  celle du dynamisme toujours renouvelé du Vivant. En clair, l’accueil de l’étranger  – différemment de l’accueil du pauvre, de la personne âgée,  du réprouvé, du malade,  etc. – propose un chemin privilégié pour entrer davantage dans l’intelligence de ce qu’est la charité : une communion toujours plus vive à ce corps étranger qui est celui de Jésus-Christ. Porte étroite pour la réception de la charité : tels des mendiants sans feu ni lieu, nous laisser aspirer hors de nous-mêmes par Celui qui, sachant qu’il venait du Père pour retourner au Père, n’a pas de pierre où reposer la tête (cf. Lc. 9, 58 ).

    Tout cela, en fait, est simple comme un conte écrit pour les enfants. Que nous faut-il donc faire ? De toute urgence, comme oublier tout ce qui précède et lire ou relire « La légende de Saint Julien l’Hospitalier » telle que Gustave Flaubert nous la rapporte. Une façon comme une autre de nous préparer, dès aujourd’hui,  à discerner la chair de notre chair chez ceux qui, venant chez eux, ne sont pas accueillis par nous.

    Complexité et simplicité se rejoignent parfois dans un même service : nous aider, par des voies différentes,  à suspendre, au moins momentanément, les jugements par lesquels nous entendons tenir à distance ceux qui nous échappent, dans le même temps où nous nous portons au devant d’eux.

Philippe D.

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