Deux fois par an, les évêques de France se retrouvent en Assemblée plénière. Cette fois, ils ont souhaité porté une démarche missionnaire, le thème de la transformation écologique s’est imposé comme une évidence. Ce thème était propice à un exercice de synodalité : c’est pourquoi les évêques ont été invités un jour et demi à convier deux personnes avec qui ils souhaitent réfléchir à l’avenir de la mission dans leur diocèse, femme, homme, laïc ou prêtre, diacre ou consacrée ou consacré… pas forcément le ou la spécialiste de Laudato Si’ des communautés chrétiennes. Christine, membre de la Communauté régionale Loire-Haute-Loire était l’un d’eux. Elle nous fait part de ce qu’elle a vécu.
Jalonnant mon texte en orange, quelques paroles entendues au cours de ces deux jours….
Des sujets d’action de grâces
J’ai vécu quelque chose d’extraordinaire pendant ces deux jours. A la fois sur le contenu et sur la forme, je ne m’attendais pas à une expérience aussi forte.
“Il s’est passé quelque chose….”
L’invitation du président de la CEF m’avait convaincue de la nécessité de répondre présent à cette invitation : le désir de plus de synodalité du conseil permanent rejoignait mon désir de voir l’institution évoluer dans ce sens. Mais je ne m’attendais pas à autant d’audace dans le contenu.
Avec les cent évêques et les deux cents délégués des diocèses, j’ai écouté les six témoins du mardi matin. Dès la première intervention, j’ai senti qu’on était dans “du dur” : pas de langue de bois, une honnêteté sur les relations difficiles à l’Église selon certains, les faits graves devant lesquels se trouve l’humanité, le dérèglement climatique décrit dans plusieurs de ses composantes et conséquences.
“Six témoins très différents, mais une énorme convergence Les six ont dit comment une menace peut faire place à une promesse”
Les témoins suivants ont confirmé cette authenticité : livrer le contenu de leur savoir dans ce domaine de la crise écologique, mais aussi leur manière de prendre position face à celle-ci. Tous ont fait des choix décisifs pour leur vie. Leurs paroles étaient situées dans leur vécu, leur engagement. Cela m’a fortement impressionnée et interpellée : et moi ?
“Entre 1998 et 2018, l’homme a extrait autant de ressources qu’avant 1998 Par un enchaînement de causes, nos modes de vie sont générateurs de souffrances
Comment voulez-vous être bouleversés (c’est le terme utilisé dans le texte hébreu de Jonas) ? Par la destruction ou par le changement ? Un jour allons-nous confesser : Mon Père, cette année j’ai fait dix voyages en avion ? Changer c’est prendre le risque d’être seul”
Les témoignages de vingt minutes étaient ponctués par une minute de silence, à laquelle nous étions invités par Laurent, collaborateur de l’Université du Nous,), à qui était confiée l’animation de ces deux jours. Là encore, j’ai admiré l’audace des évêques de confier cela à un professionnel extérieur à l’institution, qui milite pour plus de collaboration et de créativité dans les prises de décision. Cette petite prise de distance régulière nous permettait de nous connecter personnellement, mais aussi ensemble, à la résonance que prenaient les paroles entendues en nous-mêmes. Et cela a fait mûrir les prises de parole que nous aurions à faire ultérieurement.
Pour mémoire, les six témoins du mardi matin, avec quelques sites internet où l’on peut trouver leur parcours :
“Les cercles vicieux vont plus vite que ce que le GIEC avait prévu. On arrivera à plus quatre ou cinq degrés en 2100 : ça veut dire d’immenses zones invivables qui concerneront des milliards de personnes, une agriculture en lambeaux, une humanité nomade”
Malgré le sujet grave que nous abordions ensemble, malgré les descriptions catastrophiques de ce qui attendait l’humanité, c’est une joie qui se dégageait de l’assemblée en cette matinée du mardi. Il y avait dans l’hémicycle une énergie palpable. J’ai été très émue de vivre un tel événement dans le cadre de la CEF. De nombreuses personnes connaissaient la gravité de la situation climatique, mais le fait d’en entendre la description ensemble a créé une synergie enthousiaste.
“Le GIEC a reçu le prix Nobel de la PAIX (en 2007, ndlr), et non celui de chimie”
La journée s’est poursuivie par des ateliers de travail sous la forme des Cercles Samoan (en savoir plus sur le site EnVie scolaire qui décrit la méthode), rassemblant chacun cinquante personnes, et animés par l’Université du Nous. Là encore, une découverte pour moi : une manière de se parler qui permet la prise de parole par un grand nombre, sans hiérarchie ni sélection des sujets abordés. Cette manière de procéder a contribué à créer des relations de confiance entre les participants, y compris avec les évêques qui ont participé au débat. J’ai le désir de faire connaître ces méthodes à d’autres groupes auxquels j’appartiens.
“J’ai un point de vue, mais je n’ai pas raison. Mon point de vue peut changer”
Le lendemain, Elena Lasida, chargée de mission ” Écologie et société” à la CEF, et Fabien Revol, théologien spécialiste de l’écologie ont repris les contenus de la première journée en les rassemblant sous forme d’enjeux théologiques et ecclésiaux. J’ai été touchée par la convergence de mon propre ressenti avec celui d’Elena Lassida et j’ai admiré leur synthèse commune.
“L’expérimentation, la communion, la joie”
Quelques points difficiles, ou manques
Dans cette première phase de travail (qui est prévue pour durer trois ans), nous n’avons pas abordé la dimension politique d’une éventuelle action commune, question qui me taraudait en venant à Lourdes. Rien ne changera de manière décisive pour le climat si des décisions drastiques ne sont pas prises aux niveaux politique et économique. Nous avons peu parlé de la place que pourrait prendre l’Église dans ce défi. Il a été dit que “les institutions font barrage au changement”, il était question d’entrer dans une forme de résistance, mais sans l’envisager sous forme institutionnelle. La question sera sans doute abordée dans une étape ultérieure.
“Y a-t-il un risque, en secourant la planète, d’oublier le Christ ?”
Il a été également peu question des plus pauvres, qui sont les premières victimes du changement climatique. Il me semble que l’Église, riche de sa démarche Diaconia 2013, pourrait nous inspirer pour réfléchir à la manière de sensibiliser les plus pauvres à l’urgence climatique et élaborer avec eux des changements possibles.
En fin de parcours, le mercredi matin, nous nous sommes retrouvés par diocèse pour essayer d’envisager “ce que peut faire un évêque”. Même s’il nous a été demandé de définir des premiers pas dans notre diocèse, ce qui est très mobilisateur et souhaitable, j’ai trouvé que cette phase était trop courte et ne permettait pas une bonne analyse. Cela a néanmoins permis des échanges positifs en toute confiance dans le trinôme que nous formions, et servira de référence à des actions ultérieures plus décisives.
“Il y a une attente de l’Église comme acteur. Il y a une quête spirituelle : il faut y être. Pères évêques, vous êtes attendus !”
Des pistes pour les temps à venir
Au cours de cette dernière réunion par diocèse, nous avons pris l’engagement, pour le diocèse du Puy, de donner plus de visibilité à la commission Maison commune, de l’institutionnaliser, de définir ses objectifs et de doter la commission d’un tract de présentation lui permettant de bien se situer dans les collectifs auxquels elle appartient, y compris les collectifs non-religieux. Nous avons également évoqué des idées : organiser des Etats Généraux de l’écologie, proposer une page mensuelle “Ecologie” dans la revue Église en Haute-Loire, faire venir des intervenants, mobiliser les jeunes lycéens et collégiens sur ce sujet au moment de la Pentecôte, travailler en lien avec les réseaux dans lesquels nous sommes déjà engagés (Mouvements et Associations de Fidèles, Eglise Protestante, …), interroger l’exemplarité de nos pratiques.
“Les plaidoyers du CCFD sont très audibles dans les milieux laïques”
Les méthodes de travail, l’intensité des témoignages, l’authenticité des prises de parole, les temps de repas et de célébration ont suscité des relations simples et cordiales entre évêques et laïcs. Je ne peux que souhaiter que ce type d’expérience soit renouvelée. Se mettre ensemble à l’écoute des douleurs du monde nous donne beaucoup d’humilité et cette forme de travail pourrait être utilisée à d’autres niveaux de la vie de l’Église : diocèses, paroisses.
“L’audace d’initier un processus dont on ne connaît pas le résultat Passer d’une pastorale de la visite à une pastorale de la présence Initier des processus plutôt que posséder des espaces (pape François)”
D’un point de vue plus personnel, je retiendrai aussi ce qui m’a fait bouger spirituellement ou les questions qui se sont posées à moi.
“Plus de liens, moins de biens”
“Si ce que disent les 15 000 scientifiques est vrai -et ça l’est !-, comment se fait-il que nous ne bougions pas ???”
“Le cœur de la foi n’est pas ce qui nous endort, mais ce qui nous réveille”
“Relire Laudato Si’, les relations entre les hommes et avec Dieu, y lire l’herméneutique chrétienne, comment la sauvegarde de la création découle de la foi chrétienne”
Et pour finir, un grand bravo aux deux mamans venues avec leur bébé dans les bras : leur présence dans l’hémicycle est en soi un signe d’espérance !
Christine, membre de la Communauté régionale Loire-Haute-Loire, 12 novembre 2019