Sur les pas de celui qui allait devenir le Pape François : l’attention aux pauvres : un engagement en fidélité à l’Évangile porté par l’Eglise latino-américaine et aujourd’hui par le pape François – Episode 4
Comme jésuite, prêtre, puis évêque et cardinal Jorge Bergoglio pratique l’attention aux pauvres et à la pastorale populaire, l’un des fruits les plus importants du Concile Vatican II en Argentine. Il augmente le nombre de prêtres dans les bidonvilles et visite les habitants de ces quartiers. Il va jouer à ce sujet un rôle essentiel dans l’Eglise latino-américaine.
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Gustavo Gutiérrez, un des principaux représentants de la théologie de la libération, caractérise “l’irruption du pauvre dans l’histoire latino-américaine par son passage au premier plan, aussi bien dans la société que dans l’Eglise ainsi que dans la réflexion théologique qui accompagne ces réalités” (cf ” J.C. Scannone ” La théologie du peuple”).
L’Eglise d’Amérique latine vit depuis plusieurs décennies l’expérience d’une synodalité “continentale” au sein de la Conférence générale de l’épiscopat latino-américain, dont les membres sont envoyés par leur conférence épiscopale (évêques élus). Elle est assistée du Conseil épiscopal pour l’Amérique latine – CELAM- organisme de liaison des 22 conférences épiscopales nationales créé en 1955 à la 1e Conférence à Rio !
C’est le lieu d’expression de la spécificité du catholicisme latino-américain et de définition de sa politique pastorale.
Quatre conférences ont lieu après le Concile Vatican II avec pour thème central l’évangélisation :
2e – Medellin (Colombie) –1968 : la personne humaine et la société latino-américaine (ouverte par Paul VI);
3e– Puebla (Mexique)- 1979 : l’Eglise (ouverte par Jean Paul II);
4e – Santo-Domingo (Rép. Dominicaine) 1992 : Jésus-Christ (ouverte par Jean Paul II);
5 e – Aparecida (sanctuaire marial au Brésil) – 2007
Benoît XVI, dans son discours inaugural, précise la finalité de la Ve Conférence qui regroupe deux cent évêques:
“Les Pasteurs souhaitent donner maintenant une nouvelle impulsion à l’évangélisation, afin que ces peuples continuent de croître et de grandir dans leur foi, pour être lumière du monde et témoins de Jésus-Christ par leur propre vie.”
Jorge Bergoglio est le rédacteur du document final d’Aparecida “né de l’interaction entre le travail des évêques et la foi simple des pèlerins, sous la protection maternelle de Marie” (entretien avec Stefania Falasca nov.2017). Les évêques argentins vont faire de la religiosité populaire un thème clé du texte.
APARECIDA promeut l'”option préférentielle pour les pauvres “de manière apaisée.
Ce thème a été mis en évidence, à la suite du Concile Vatican II, lors de la 2ème conférence générale à Medellin en 1968. Le Peuple de Dieu, l’Eglise et les peuples qui la composent à travers le continent, sont ainsi pris en compte avec une réalité où 70% des catholiques font partie des couches les plus pauvres de la société de leurs pays. Cette option a donné lieu à des pratiques des agents pastoraux, qui ont souhaité aller vivre au plus près des pauvres. L’engagement dans des conflits sociaux, en particulier dans la lutte pour la terre, comme au Brésil, s’est fait dans des contextes politiques de plus en plus tendus, puisque les années 70 ont vu croitre des affrontements armés, la mise en place de régimes dictatoriaux où les petites gens ont été pris en tenaille entre l’enrôlement dans des guérillas et des représailles de la part des forces armées voire paramilitaires dans certains pays, dont l’Argentine.
Ces polarisations des sociétés civiles des pays du continent ont entrainé une polarisation des termes de l’option préférentielle pour les pauvres, réalité bien connue de Jorge Bergoglio. Le débat, après s’être envenimé dans l’Eglise a trouvé un véritable apaisement à la conférence d’Aparecida.
Benoit XVI, dans son discours inaugural affirme que cette option n’est pas sociologique, ni ecclésiologique, mais théologique, citant la parole de Paul aux Corinthiens (2Co 8,9).
Le document (source: M. Godoy et A. Brigenti, experts de la Conférence des évêques du Brésil à Aparecida)
– Le point de départ : “Une réalité qui nous interpelle, parce qu’en contradiction avec le Règne de la vie”
Les conditions de vie de millions et de millions d’abandonnés, d’exclus, et d’ignorés contredisent le projet du Père et défient les chrétiens pour s’engager davantage en faveur de la culture de la vie. Le Règne de Vie, que le Christ est venu apporter est incompatible avec de telles situations déshumanisantes (458).
– Le point d’arrivée: “La vie en plénitude pour la personne toute entière et pour tous nos peuples !
= Une promotion humaine, qui apporte une authentique libération intégrale, qui englobe la personne toute entière et toutes les personnes, en les rendant sujets de leur développement (399) ;
= Dieu, en Christ ne sauve pas seulement la personne individuellement, mais avec toutes les relations sociales entre les êtres (359) ;
= La foi chrétienne devra engendrer des modèles culturels alternatifs pour la société actuelle (480).
– L’exigence: Une Église en état permanent de mission
– Les implications
= Une conversion pastorale et la rénovation ecclésiale, dont la volonté d’assumer les nouveaux visages de la pauvreté, à la lumière de l’option pour les pauvres (402), la participation active des femmes dans l’Évangélisation (458) et une pastorale urbaine renouvelée (518)
= La présence au monde de la culture (479), de la communication sociale (485), des centres de décisions (491) et dans la vie publique (501).
– L’itinéraire : Un chemin en 4 étapes – à la lumière de l’option préférentielle pour les pauvres-
= l’expérience personnelle de la foi : suite de Jésus-Christ (lieux de rencontre)
= la vie communautaire : la communion dans l’Eglise (lieux de communion)
= la formation biblico-théologique : être disciple (lieux de formation)
= l’engagement missionnaire de la communauté : la dimension missionnaire (lieux de mission)
Dans cette exhortation apostolique le rédacteur d’Aparecida, devenu le Pape François, reprend, dés l’année de son élection, ces thèmes qui lui sont chers, en fidélité à l’Evangile, appelant à la transformation missionnaire de l’Eglise, à sortir vers les autres pour aller aux périphéries humaines (46). Il refuse une économie de l’exclusion (53) et souligne le ” besoin d’évangéliser les cultures pour inculturer l’Evangile” (69). La dimension sociale de l’Evangélisation passe par l’intégration sociale des pauvres.
” Chaque chrétien et chaque communauté sont appelés à être instruments de Dieu pour la libération et la promotion des pauvres, de manière à ce qu’ils puissent s’intégrer pleinement dans la société; ceci suppose que nous soyons dociles et attentifs à écouter le cri du pauvre et à le secourir…(187).
L’Eglise a reconnu que l’exigence d’écouter ce cri vient de l’œuvre libératrice de la grâce elle-même en chacun de nous; il ne s’agit donc pas d’une mission réservée seulement à quelques-uns: « L’Eglise guidée par l’Evangile de la miséricorde et par l’amour de l’homme entend la clameur pour la justice et veut y répondre de toutes ses forces (Instruction Libertatis nuntius – 6 août 1984 – Congrégation pour la doctrine de la Foi)». Dans ce cadre on comprend la demande de Jésus à ses disciples: «Donnez leur vous-même à manger» (Mc 6,37), ce qui implique autant la coopération pour résoudre les causes structurelles de la pauvreté et promouvoir le développement intégral des pauvres, que les gestes simples et quotidiens de solidarité devant les misères très concrètes que nous rencontrons.” (188)
“Les pauvres ont une place de choix dans le cœur de Dieu, au point que lui-même «s’est fait pauvre» (2Co 8,9)…Cette préférence divine a des conséquences dans la vie de foi de tous les chrétiens…Inspirée par elle, l’Eglise a fait une option pour les pauvres, entendue comme une « forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Eglise (Jean-Paul II lett.enc. Sollicitudo rei socialis 30 dec.1987) »….je désire une Eglise pauvre pour les pauvres.” (197-198)