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Entre les membres de la CVX et les jésuites : une histoire d’amour ?!

Denis Dobbelstein, belge, membre de l’Exco mondial, frère d’un jésuite, apporte son témoignage.

J’ai découvert la CVX en Belgique, à une époque où les jésuites étaient omniprésents, à la fois promoteurs, coordinateurs, accompagnateurs, formateurs et même souvent … confesseurs. J’avais beau m’en formaliser, revendiquant notre (et surtout ma) particularité de laïc ignatien, je comprenais parfaitement ceux qui nous assimilaient à des disciples des jésuites. Si le terme avait été usité à l’époque, on aurait parlé d’une « spin-off [1] ».

Aujourd’hui, quand mes voyages en CVX me donnent de contempler des communautés qui vivent un lien filial très fort avec la compagnie de Jésus, faisant mémoire de ma propre expérience, je peux me réjouir avec elles des bienfaits d’une telle proximité. Et plutôt que de m’agacer de la déférence, voire de la dépendance qui sont comme le revers de la médaille, je me redis en silence : patience, le meilleur est à venir.

L’espace étant compté, je vous partage ce que j’ai vécu de « meilleur » en termes de collaboration entre la CVX et les jésuites. Il y eut certes de belles réalisations, des événements co-organisés, des services communs. Or, le meilleur est soit discret, presque intime, soit tellement large qu’il faut le contempler avec un recul historique pour en prendre la vraie mesure.

J’ai eu le privilège de grandir dans la famille ignatienne avec des « maitres » incroyablement libres. Ils ont eu des audaces vivifiantes, la plus fondamentale étant de confier très tôt des responsabilités à de jeunes laïcs dans le domaine longtemps réservé de la formation. La collaboration sans hiérarchie entre ceux qui en savent beaucoup et ceux qui brûlent d’apprendre est un accélérateur de formation impressionnant. Et le processus d’apprentissage est réciproque. Quand différentes « intelligences » du monde se croisent, il en résulte quelque chose de neuf, des outils d’une pertinence innovante pour l’Eglise en même temps qu’un approfondissement des vocations personnelles. L’enseignement le plus précieux que j’en garde, c’est que nous sommes tous chercheurs de Dieu. Ce fut une expérience spirituelle au cœur même du « travail » de formation.

Ainsi disposé, j’étais tout ouïe lors de l’Assemblé Mondiale du Liban en 2013 lorsque deux jésuites nous ont parlé de collaboration dans la mission. Ils auraient pu évoquer des collaborations de travail, des synergies institutionnelles, et cela aurait été parfaitement pertinent. Ils ont toutefois privilégié des messages fondamentaux et à certains égards « révolutionnaires ».

Un assistant du Supérieur Général de la Compagnie de Jésus nous a invités à nous approprier les Exercices Spirituels et à les décliner d’une manière propre à notre état de vie [2]. Il peut paraître paradoxal d’entendre un jésuite plaider en faveur de cette audace ; ce n’est pas pour autant inutile, tant le respect des laïcs ignatiens est grand quand il s’agit des Exercices. Le Centre Spirituel Ignatien de Belgique francophone (La Pairelle) a pris le parti de confier systématiquement à une équipe « mixte » l’animation des sessions et retraites ignatiennes. L’expérience révèle que la complémentarité des langages favorise la démarche personnelle et inaliénable de la rencontre du Tout-Autre. Il n’y a en l’espèce aucune concurrence, mais une diversification de l’exploration. Or, l’effort de renouvellement est d’autant plus crucial dans un monde en profonde mutation.

Quant au Père Adolfo Nicolas lui-même, il a appelé la CVX à apporter de la profondeur au monde, non  seulement en étant prophétique, mais en apprenant le langage de la sagesse, ce langage qui permet de révéler Dieu sans forcément se référer aux codes religieux car Dieu se laisse vraiment trouver en toutes choses [3]. Cet appel élargit considérablement le champ de la collaboration car elle déverrouille le concept même de mission en même temps qu’il mobilise les compétences complémentaires des jésuites et des laïcs ignatiens.

Tryptique de l'Incarnation, œuvre du peintre suisse Louis Rivier inachevée à sa mort en 1963.
Tryptique de l’Incarnation, œuvre du peintre suisse Louis Rivier inachevée à sa mort en 1963.

Notre spiritualité, fondée sur le Mystère de l’Incarnation, nous invite à considérer comme une véritable mission l’appel à vivre avec radicalité la vie « ordinaire ». Or, pour les laïcs, il convient de ne pas appliquer tels quels les critères d’excellence propres à la vie religieuse. Ce rappel est tout le contraire d’un alibi puisqu’il s’agit de ne snober aucune dimension de notre vie. Qui plus est, il nous place devant une vraie responsabilité : celle de prendre nos frères jésuites au mot et de les sensibiliser à des formes de collaboration ajustées.

Denis Dobbelstein
Membre du Conseil Exécutif mondial de la CVX

[1] Une série dérivée se focalisant sur un ou plusieurs personnages d’une précédente œuvre, ou ayant pour cadre un univers de fiction similaire sans pour autant avoir de personnage en commun avec elle.

[2] Exposé du P. Anthony Da Silva sj intitulé « Pas d’avenir sans collaboration », Supplément Progressio n°70, pp. 80 et ss.

[3] Exposé du P. Adolfo Nicolas sj intitulé « Un langage de sagesse pour les frontières », ibidem, pp. 88 et ss.