En réponse à l’appel du Pape François, la CVX Europe a souhaité être aux frontières avec les demandeurs d’asile. Entre juillet 2015 et janvier 2016, des volontaires venus de toute l’Europe se sont ainsi succédé, par périodes de trois semaines, dans la ville de Ragusa dans le Sud de la Sicile, pour aller à la rencontre des réfugiés et partager leur réalité. Sophie, membre de la région « Bretagne occidentale », fait partie de ces volontaires. Elle nous partage quelques réflexions sur cette expérience qui a fait qu’elle n’est pas rentrée chez elle comme avant…
Plus d’infos sur le programme.
J’aimerais partager avec vous trois aspects de cette fabuleuse expérience :
1. Comment cette mission personnelle en CVX est devenue un projet communautaire grâce aux membres de ma CL, aux compagnons d’autres pays avec qui j’étais sur place et aussi avec vous que j’emmène aujourd’hui dans cette barque.
2. La rencontre avec les migrants en elle-même : ce que j’ai vécu à Canicarao, ce que j’ai ressenti, quelques-unes des pensées qui me sont venues.
3. Ce qui se passe pour moi depuis mon retour : qu’est-ce que je fais de cette expérience ? Quels en sont les fruits concrètement depuis deux mois que je suis rentrée ?
Avant de commencer, je vous propose de regarder cette courte vidéo (voir ci-dessous) de 4 minutes. Les médias nous rabattent les oreilles avec cette question de l’accueil des réfugiés en Europe. Mais sommes-nous bien informés ? De quoi parlons-nous vraiment ? Voici quelques chiffres pour nous remettre les idées en place…
1ère étape : Avant de partir
Le déclic au Congrès à Cergy
Juste avant de partir au Congrès, je passe un long moment sur le site dédié pour prendre la mesure de ce qui a été préparé pour l’événement et prendre connaissance des dernières nouveautés. Un article sur un projet de la CVX Europe intitulé « Aux frontières avec les demandeurs d’asile » attire mon attention. Faire de l’humanitaire, je l’ai toujours souhaité, mais l’occasion ne s’est pas présentée. « Oui, mais non, c’est un bien beau rêve ce projet, mais ce ne serait pas du tout raisonnable avec mon métier & toutes mes obligations… ».
Arrivée au Congrès, comme chacun, je découvre sur mon badge le numéro du « Puits » auquel je participerai samedi matin. Quel en est donc le sujet ? Les migrants. Ah tiens, ce n’est pas nécessairement le sujet que j’aurais choisi mais pourquoi pas ? La personne qui anime ce puits est travailleuse sociale auprès des migrants et en charge de l’atelier « CVX Étrangers ». Dans le groupe, il y a également un monsieur qui, en préfecture, était chargé de l’instruction des demandes d’asile. Notre échange est passionnant, regards croisés sur ces demandes d’asile, de chaque côté de la barrière. Puis à la fin de l’atelier, l’animatrice nous fait passer le flyer pour cette mission de CVX Europe auprès des demandeurs d’asile.
Je sens alors un appel fort & indéniable à y participer pour la session. Une vive réaction m’envahit : une grande crainte, non pas de ne pas en être capable ou que cela ne me plaise pas mais crainte d’être submergée par mes émotions, d’être trop sensible pour faire ça. « Non, non, mon Dieu, je ne peux pas y aller, ça va trop me secouer ! ». Crainte vite dissipée : si le Seigneur m’invite, je n’ai rien à craindre, Il sait ce qu’Il fait !
Ma communauté de Congrès a ensuite joué un rôle important. La veille, Paul de Montgolfier, Jésuite très impliqué dans le Jesuit Refugees Service (JRS), qui est dans notre CL de Congrès, a dit quelque chose qui m’a fortement interpelée : au-delà de la recherche d’une vie simple, il nous invitait expérimenter le manque au lieu de chercher à le combler au plus vite. Nous laisser habiter par ce manque, qui nous façonne et constitue un chemin de croissance spirituelle. Et alors que nous nous retrouvons en carrefour après les puits, je parle de cet appel dans ma communauté de congrès, en mettant en lien le “manque” souligné hier, mon célibat & le fait que celui-ci me permette de faire ce genre de choses extraordinaires. « Au lieu de me désoler de ne pas être mariée et de ne pas avoir d’enfant, je pourrais peut-être plutôt me réjouir de ce que cet état de vie me permet de faire ».
Plusieurs compagnons m’interpellent ensuite pour me dire qu’ils ont été touchés par cet appel, qu’ils me le confirment et me disent de foncer. Des compagnons me présentent ensuite les organisateurs du projet CVX Europe qui sont présents au Congrès. En quelques heures, ce vague projet devient une réalité, mes appréhensions sont dissipées et toutes les « bonnes excuses » pour ne pas y aller me semblent dérisoires. J’ai ensuite quand même poursuivi mon discernement mais la paix & la joie profonde à l’idée de partir étaient si fortes que la décision fut rapidement confirmée.
Première occasion d’expérimenter le DESE avec ma communauté locale
À la rentrée, j’en ai bien évidemment parlé à ma CL, comme un fruit du Congrès. Et puis, Hervé, notre accompagnateur, m’a suggéré que ce projet pourrait fait l’objet d’un DESE pour notre équipe. Un DESE, t’es sûr ??? Ça fait partie des « gros mots » de la CVX qui effraient les compagnons ça ! Essayons quand même… » Nous avons donc préparé une rencontre sur ce thème, enfin plutôt un « ESE » vu que le discernement était déjà fait et que nous étions déjà mi-novembre. Cela me semblait une bonne idée. Sauf qu’en arrivant à la réunion, une petite frayeur m’a saisie : et si les compagnons démontaient mon projet à un mois de mon départ ? si ce qu’ils allaient me dire m’ébranlait trop ? Trop tard maintenant pour reculer de toute manière : zou ! Et les compagnons ont joué le jeu. Je me suis vraiment sentie interpelée, poussée à éclaircir certaines de mes motivations, à m’interroger, à appréhender certains aspects de la mission que je n’avais peut-être pas voulu voir. Et surtout, à l’issue de cette réunion, je me suis sentie ENVOYEE par ma communauté. Ce n’était plus moi toute seule qui partais, j’avais mes compagnons qui poussaient derrière.
2ème étape : Pendant la mission
Soutien de ma CL à distance
Ce soutien de ma CL s’est poursuivi lorsque j’étais sur place. Chacun d’entre eux avait préparé des petits papiers avec une pensée, une prière, une question pour m’accompagner chaque jour. Chaque matin, j’ouvrais ainsi l’un de ses petits papiers au hasard. Leur nom n’était pas indiqué mais je reconnaissais sans hésitation la patte de chacun. Chacun y avait mis tout lui-même. Ce n’était pas juste une banalité ou une citation. Chacun à sa manière m’accompagnait et ce qui était écrit sur ce petit papier colorait ma journée et me donnait de voir les événements du jour sous cette lumière-là. Je sentais leurs prières aussi. Ils m’ont envoyé nombre de mails pour me dire leur présence.
Vie communautaire sur place
Il y a aussi eu notre vie communautaire sur place entre volontaires. Sur ma session, nous étions neuf bénévoles : deux Lettones, une Suissesse, quatre Italiennes, un Portugais et moi-même. Nous étions tous CVX, sauf un. Et nous avons aussi pu vivre cette expérience en « communauté de mission » par nos temps de prière du matin, nos partages, nos relectures & nos interpellations.
Relire des journées d’une telle intensité n’est, pour moi, pas seulement « un plus » mais un réel besoin. Nous vivions des choses fortes chaque jour. Les réfugiés nous racontaient leur histoire, nous étions confrontés à leur souffrance, leurs blessures. Il m’était indispensable de pouvoir déposer tout cela chaque soir au pied du Seigneur pour ne pas me laisser submerger par mes émotions, prendre du recul, relire mes réactions, m’ajuster, trouver la bonne distance par rapport aux réfugiés et aux autres volontaires, pour trouver l’attitude juste à avoir le lendemain. Certes, les journées étaient déjà longues mais je passais une heure à la chapelle chaque soir avant de me coucher pour ce faire. J’avais aussi la chance de pouvoir échanger longuement avec Sylvie, la Suissesse, qui partageait ma chambre et était à Canicarao comme moi.
Mon seul regret est de ne pas avoir pu vivre pleinement la relecture communautaire de nos journées, comme il était prévu. Notre accompagnateur, un ancien Jésuite qui ne connaît pas vraiment la CVX et nos manières de fonctionner, utilisait la plupart du temps communautaire prévu chaque soir pour nous enseigner, et il a continué malgré les remarques que plusieurs d’entre nous lui avons faites. Nous faire faire une fiche de lecture sur la bulle d’indiction sur la miséricorde n’était à mon sens pas vraiment indispensable à ce moment-là. J’avoue, par pure rébellion, j’ai refusé de « faire mes devoirs ». Nous n’étions pas là pour ça ! Nous aurions tout le temps de lire à notre retour. Ce n’était pas le moment. Les réfugiés nous apprenaient des choses essentielles sur le plan humain au fil de nos journées avec eux et nous nous devions de le vivre pleinement. Ce manque m’a fait prendre conscience à quel point la relecture communautaire de la mission est une grâce de la CVX, l’une de nos plus grandes richesses dont nous devons prendre soin. Nous étions à Ragusa grâce à CVX, avec CVX et pour CVX.
3ème étape : Après mon retour
Évaluation avec ma CL
À mon retour, notre CL a fait une réunion de relecture de cette mission. Au-delà de mon expérience personnelle, j’ai pu mesurer davantage encore à quel point mes compagnons s’étaient impliqués dans ma mission : leurs pensées, leurs prières, les discussions qu’ils ont eu à mon sujet avec leurs proches, les interrogations que cela avait suscitées en eux. Finalement, j’ai vraiment l’impression que nous avons vécu cela ensemble, même si nous étions à 2 000 kilomètres les uns les autres. Et je sens que cette expérience a changé quelque chose dans notre CL, renforcé le sentiment de faire communauté sans doute. Nous sommes passés au cran du dessus !
Évaluation du projet pour la CVX Europe
Ce projet « Aux frontières avec les demandeurs d’asile » était un projet pilote monté par la CVX Europe, mené à titre expérimental de juillet 2015 à janvier 2016, par succession de neuf équipes de volontaires pendant trois semaines chacune. La session à laquelle j’ai participé était la dernière du projet. À notre retour, la CVX Europe nous a ainsi demandé, comme à toutes les sessions précédentes, de procéder à une évaluation du projet pour en tirer les enseignements et voir s’il était opportun de pérenniser cette action. J’ignore encore si cette mission sera reconduite, je ne peux que le souhaiter, à la fois pour pouvoir y retourner moi-même, pour que d’autres compagnons aient l’occasion de vivre une si belle expérience et pour que notre communauté CVX soit présente aux côtés des réfugiés pour leur offrir une petite lueur d’espérance.
J’ai effectué cette mission dans le centre de Canicarao qui rassemblait alors une cinquantaine d’hommes originaires de Syrie, du Bangladesh, du Maghreb & d’Afrique noire, en attente d’instruction de leur demande d’asile. Le fonctionnement de ce centre est assuré par la Fondation, mais en dehors des repas, des formalités administratives, d’un suivi médical & des cours d’italien, rien n’est vraiment prévu, surtout pas pendant les fêtes de fin d’année. Nous étions là pour proposer des activités pour occuper les réfugiés et tenter de les sortir de l’ennui & de leurs sombres ruminations.
Quelques réflexions sur le centre de Canicarao
Tous les êtres humains ont finalement les mêmes aspirations
Perdus dans un engrenage qu’ils ne comprennent pas
Imaginons-nous à leur place. Qu’est-ce que cela nous ferait :
Les blessures psychologiques
Comment se relever de tels traumatismes ? Cette question me tient particulièrement à cœur puisqu’elle rejoint mon engagement ici avec Amitié Espérance auprès des personnes en souffrance psychique. Car, nombre des réfugiés que j’ai rencontrés ont vécu des choses extrêmement traumatisantes dans leur pays, en Libye et/ou sur le bateau lorsqu’ils ont traversé la Méditerranée. Nombre d’entre eux présentent des symptômes dépressifs sévères. La société leur reprochera leur manque d’allant, leur atonie. « S’ils veulent vivre chez nous et s’intégrer, qu’ils fassent des efforts que diable ! » entend-on. Mais nous ? Mais moi ? Dans quel état psychologique serais-je si j’avais dû endurer les mêmes épreuves qu’eux ? Serais-je pleine d’énergie avec un moral toujours au beau fixe et une persévérance à toute épreuve ? Pas sûr…
À propos du traumatisme des migrants : voir le reportage d’Arte tourné à Canicarao : http://info.arte.tv/fr/le-traumatisme-des-refugies
Réalisons-nous ce que nous exigeons d’eux ?
Pour commencer, ils doivent être « parfaits » : ne jamais se mettre en colère, être honnêtes, tolérants, travailleurs, courageux, discrets, respectueux, patients, ah ça oui patients surtout…, etc. Ben oui, nous sommes déjà bien gentils de les accueillir, ce n’est pas pour qu’ils nous renvoient nos propres défauts au visage. Et puis, dans un centre tel que celui de Canicarao, de nombreuses nationalités & ethnies se côtoient. Et ils doivent cohabiter sans broncher. Sommes-nous conscients que nous faisons parfois cohabiter les victimes & les bourreaux ? Avons-nous la moindre idée de ce que cela peut faire de vivre pendant des mois avec quelqu’un qui est de l’ethnie qui a massacré toute votre famille ? Non. Et pourtant, ils cohabitent. Et plus que tout, ils sont solidaires les uns des autres. Certes, dans leur pays, ils étaient peut-être ennemis mais leur commune errance les a rapprochés. Cette souffrance partagée développe en eux des sentiments de solidarité bien plus grands & bien plus sincères que tous nos beaux sermons & nos belles pensées théoriques d’Occidentaux. Nous aurions tellement à apprendre d’eux…
Les gens de bonne volonté
Il y a partout des gens de bonne volonté tant parmi les migrants, les professionnels qui gèrent les centres, que les volontaires. Les gens de bonne volonté donc… ils se reconnaissent facilement… en écho avec (1Co 12, 4-11) : « Les dons de la grâce sont variés mais c’est toujours le même Esprit ». Et moi, dans mon quotidien, est-ce que je sais reconnaître ces gens de bonne volonté ? Est-ce que je m’attache davantage à reconnaître ces gens de bonne volonté plutôt qu’à souligner tout ce qui ne va pas ? Suis-je moi-même quelqu’un de bonne volonté ?
Mon plus beau Noël
J’ai souhaité participé à ce projet, particulièrement durant la période de Noël (du 21 décembre au 10 janvier) pour deux raisons :
Apprendre à perdre mon temps
Au quotidien, je suis quelqu’un qui travaille tout le temps. Je suis efficace mais la plupart du temps, totalement débordée & épuisée. Aussi, les premiers jours passes à Ragusa m’ont-ils perturbée. J’étais venue pour “faire” des choses pour les migrants et je trouvais que les choses ne commençaient pas assez vite. On nous faisait visiter les centres, rencontrer les gens de la Fondation, etc. Mais quand allons-nous enfin être avec les réfugiés ? Et même une fois à Canicarao, les activités que nous avions prévues pour les réfugiés tombaient parfois à l’eau à cause d’un imprévu, d’une info que les opérateurs du centre ne nous avaient pas donnée, etc. Cela aurait pu rapidement me taper sur le système. Heureusement, j’avais décidé que cette mission était « mon cadeau de Noël » et en conséquence que j’accepterais tout ce qui allait arriver comme une grâce. Alors j’ai ronchonné un peu au début mais j’ai rapidement découvert l’importance de laisser les choses aller à leur propre rythme. Pas besoin de vouloir en faire trop ou d’aller trop vite. Parce que, si votre agenda est totalement saturé, les choses importantes ne peuvent pas arriver. Donc, depuis mon retour, j’essaie de laisser des “trous” dans mon emploi du temps afin d’être disponible à l’inconnu & à l’inattendu. Bon, j’ai encore une petite marge de progression de ce côté-là… 😉
Revoir mes critères d’efficacité & de réussite
Un après-midi pluvieux, nous avons proposé de leur projeter un film. Un autre volontaire avait suggéré « Joyeux Noël », nous avions trouvé que cet exemple de fraternisation entre soldats allemands, anglais & français pendant la Première guerre mondiale était une illustration intéressante de paix entre les peuples. Cette projection fut un grand moment de solitude. Et pourtant… Il y avait à ce moment-là 48 réfugiés dans le centre. Il est évident que lorsqu’une activité rassemble déjà 15 à 20 d’entre eux, on peut la considérer comme bien suivie. Au début du film, il y avait une quinzaine de personnes. Bon début donc. Sauf que nos amis sont sortis progressivement un à un. À la fin du film, il n’en restait plus qu’un seul. Un véritable fiasco ! Enfin apparemment… car effectivement, il n’en restait qu’un seul, mais celui-ci avait été fortement ébranlé par l’histoire et avait les larmes aux yeux. Il nous a chaudement remerciés. Et ce jeune homme qui était parmi les plus tristes et les plus renfermés a commencé à s’intégrer davantage dans le groupe les jours suivants. Bien sûr, il n’était pas sauvé pour autant, mais c’était un premier petit pas pour le sortir de l’enfermement dans lequel sa souffrance le plongeait. Alors quel bilan pour notre projection de film ? Selon des critères statistiques & de rentabilité, indubitablement un échec. Mais sur le plan humain, pour ce jeune-là, je pense que c’est une réussite. Une belle réussite ! Et surtout, une belle récompense de l’avoir vu sourire pour la première fois…
Avant tout, je suis en quelque sorte une ambassadrice des messages que ces réfugiés nous ont demandé de transmettre à nos compatriotes : leurs excuses aux Français pour les attentats & leur crainte qu’on ne les assimile à des terroristes ou à des profiteurs, leur reconnaissance envers le Pape qui demande sans cesse d’agir en faveur des migrants, leur reconnaissance envers l’Europe qui vient les secourir en mer alors que sans cela, sur leurs frêles embarcations, ils sont condamnés à une mort certaine.
Je suis partie en Sicile avec un grand nombre de questions sur ce qu’il convient de faire en Europe au sujet de cette question des migrants qui se pressent à nos portes. Qu’est-ce qui est juste ? Comment résoudre ce problème au niveau politique ? Je n’ai trouvé aucune réponse à ces questions à Canicarao. Cependant, j’y ai découvert une nouvelle perspective, une autre manière de voir les choses, qui me semble plus intéressante qu’une « solution ». Désormais, je sais que cette question des réfugiés en Europe n’est pas « un problème à résoudre » mais « un défi à relever avec d’autres êtres humains ». Et cela change tout… Nous autres, Européens, pouvons continuer de « subir » ces flots de migrants qui se pressent à nos portes, craindre l’invasion et construire des murs. Ou au contraire, nous pouvons voir ces êtres humains qui arrivent comme une opportunité de changer notre regard, de nous tourner vers l’essentiel et d’inventer ensemble du neuf. Notre modèle européen est-il si parfait qu’il n’ait besoin d’aucune amélioration ? De toute manière, les migrations, qu’elles soient liées aux guerres, à des motifs économiques ou climatiques, ne cesseront pas et iront croissantes. À nous de choisir notre camp !
Pour conclure, je n’ai rien fait d’extraordinaire au cours de ces trois semaines, juste être là avec ces réfugiés, partager des activités, essayer de percevoir leur réalité, échanger, discuter, deviser sur nos richesses humaines & culturelles mutuelles, sur le monde tel qu’il va, sur ce qui nous rapproche. Un proverbe africain dit :
J’ai regardé au loin, j’ai vu un loup.
Je me suis approché, j’ai vu un homme.
Je me suis approché encore, j’ai vu un frère.
Oui, voilà simplement ce que j’ai fait durant ces trois semaines :
je me suis approchée et j’ai vu des frères…
Ce que j’ai fait en Sicile, au fond, c’est facile. Trois semaines, loin de tout, loin des soucis & autres contingences matérielles du quotidien. Tout au long de la mission, deux vers de la prière de saint François d’Assise n’ont cessé de résonner en moi : « Car c’est en donnant que l’on reçoit. C’est en s’oubliant soi-même que l’on se trouve soi-même ». En effet, si j’ai donné trois semaines de mon temps, mon attention, mon amour, j’ai reçu infiniment davantage des réfugiés & des autres volontaires. Il ne me reste plus qu’à laisser se distiller en moi tous ces dons pour changer mon regard en profondeur & trouver la manière d’agir d’ici aussi… Car si je me suis donnée pleinement à Ragusa, c’est aujourd’hui fini. Même si j’ai gardé le contact avec certains réfugiés via Facebook, je ne les reverrai probablement jamais.
C’est beaucoup plus difficile de savoir ce que je fais désormais ici & maintenant. Il y a mille choses à « faire » : de nombreuses associations, des paroisses font déjà beaucoup. Deux réflexions m’habitent à ce sujet :
Et cette partie-là, il me reste à l’accomplir…
Sophie, Communauté régionale Bretagne Occidentale